Dressed To Kill (Pino Donaggio)

Pulsions meurtrières

Disques • Publié le 20/08/2013 par

Dressed To KillDRESSED TO KILL (1980)
PULSIONS
Compositeur :
Pino Donaggio
Durée : 58:51 | 24 pistes
Éditeur : Intrada

 

4 out of 5 stars

Curieusement, la carrière de Pino Donaggio, violoniste classique puis chanteur de variété italienne avant de devenir compositeur de cinéma, est marquée dès le début par le mystère et l’angoisse. Il écrit sa première musique de film en 1974 pour Don’t Look Now (Ne Vous Retournez Pas), excellent film fantastique de Nicholas Roeg tourné à Venise. Il prend ensuite la relève de Bernard Herrmann pour Carrie de Brian de Palma, dont il devient le compositeur attitré jusque Body Double, son lyrisme hyper-expressif s’accordant de manière idéale à la virtuosité de la caméra du réalisateur américain. Les deux hommes se sont retrouvés en 2013 sur Passion.

 

En 1980, Donaggio signe avec Dressed To Kill une de ses partitions majeures, peut-être la plus complexe et la plus dense. Le compositeur y recourt, avec une maîtrise consommée, aux richesses de la formation symphonique, tout en conservant certains traits caractéristiques de ses compositions précédentes. Don’t Look Now, Carrie ou Tourist Trap affirmaient déjà un ton et une couleur mélodique très personnels, mais ces partitions constituées de pièces très brèves sont assez linéaires et écrites pour de petits ensembles, et on y sent le compositeur encore limité dans son utilisation de l’orchestre.

 

Nancy Allen : dressed to kill, indeed...

 

Dressed To Kill marque de ce point de vue une forme d’émancipation, facilitée sans doute par le soutien technique de son ami, l’arrangeur et chef d’orchestre Natale Massara (qui dirige d’ailleurs la partition). Comme le film, la musique n’échappe pas aux références hitchcockiennes : Psycho (Psychose) bien sûr pour la scène du meurtre, mais aussi Vertigo (Sueurs Froides) pour la scène du musée. Ces influences ne sont toutefois pas aussi présentes, ni aussi gênantes, qu’on l’a parfois affirmé. Si certaines inflexions mélodiques, certains effets de cordes évoquent clairement la musique d’Herrmann, l’ensemble baigne dans une suavité un brin lounge, une sensualité typique du musicien italien. De son expérience de violoniste dans des ensembles baroques, Donaggio a conservé une écriture limpide et concise, très centrée sur les cordes, « vivaldienne » si l’on veut, assez éloignée des folies orchestrales du compositeur américain.

 

Les thèmes de génériques de Donaggio sont souvent mémorables : l’italien est un maître de la petite mélodie envoûtante et entêtante. Dans Dressed To Kill, son Main Title est une sorte de berceuse enjôleuse qui pourrait même sembler un peu mièvre, avec ses violons s’étirant langoureusement sur des miroitements de vibraphone. Le thème est empreint d’une certaine banalité, appuyée par les soupirs d’un chœur féminin – assez peu audible dans ce nouveau mixage – mais on comprend ensuite la justesse dramaturgique de ce trait, puisque la scène du générique se révèle n’être qu’un fantasme érotique du personnage principal.

 

Angie Dickinson : dressed to die...

 

The Museum est sans doute la plus belle pièce de l’album. Parfaitement construite dans sa progression, elle commence de manière presque hésitante puis gagne en intensité et en passion jusqu’à la superbe envolée finale. Dans le film, cette très longue séquence sans dialogue où la partition occupe seule le paysage sonore est une sorte de ballet qui constitue une des plus belles alliances musique/image au cinéma. Un autre thème tout aussi séduisant mais plus apaisé est exposé dans Liz And Peter et fait l‘objet de jolies reprises au piano solo et à la flûte avec un accompagnement de cordes, ici encore un peu lounge.

 

Mais le disque offre évidemment des pages plus tendues (Death In The Elevator, Flight From Bobbi, Liz Chased By Hoods) où Donaggio témoigne d’une signature tout aussi personnelle, malgré les coups d’archets agressifs du motif du meurtre qui évoquent Psycho. Au chapitre des clins d’œil, on notera également une petite phrase ascendante et descendante, au caractère hypnotique, exposée notamment aux bois et au celesta (The Transformation, The Asylum) qui renvoie clairement au motif central de Vertigo. The Asylum et The Nightmare constituent de beaux exemples de l’art particulier de Donaggio. Dans son style léger qui ne doit rien aux effets massifs de bien des compositeurs hollywoodiens, il construit de savantes et très efficaces progressions de tension et de violence.

 

La partition est dirigée avec talent par Natale Massara, le vieux complice de Donaggio. On sait que ce dernier, cas rare dans la musique de film, n’a quasiment jamais dirigé ses partitions, s’estimant parait-il d’un tempérament trop vif. Cette nouvelle édition propose quelques dix-neuf minutes de musique inédites, pas essentielles mais bienvenues. Les nouveaux masters originaux auxquels Intrada a eu accès offrent en outre une certaine amélioration dans la définition et la spatialisation, mais on y perd un peu en chaleur.

 

 

Dressed To Kill

Stephane Abdallah
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