Brave (Patrick Doyle)

La belle rebelle

Disques • Publié le 15/08/2012 par

BraveBRAVE (2012)
REBELLE
Compositeur :
Patrick Doyle
Durée : 65:35 | 20 pistes
Éditeur : Walt Disney Records

 

5 out of 5 stars

C’est du rapport à la tradition qu’il est beaucoup question dans Brave (Rebelle), et c’est aussi tout l’enjeu de la bande originale confiée à Patrick Doyle. Le compositeur se confronte à trois traditions : le folklore musical écossais, l’accompagnement musical pour un film d’animation et la musique de film symphonique dont il est l’un des héritiers. Passionné par la culture celtique, né en Ecosse mais d’une famille à moitié irlandaise, celui qui a avoué, concernant Thor, s’être constamment retenu de s’abandonner à son naturel «old school», peut se laisse aller sur Brave avec la bénédiction de Pixar, en mariant le folklore musical celtique le plus traditionnel au grand orchestre classique. Harpes, flûtes, tambours, great highland bagpipes (cornemuses écossaises) et uillean pipes (cornemuses irlandaises) sont omniprésents. Doyle a pris soin de maintenir à l’arrière plan son orchestre massif lorsque les instruments acoustiques traditionnels sont présents. L’équilibre est toujours dynamique et fait de la musique de Brave un fin mélange entre musique folklorique et score hollywoodien à l’ancienne.

 

D’autres compositeurs ont réussi avec succès l’association celtico-symphonique, et l’on songe immédiatement à Braveheart d’autant plus que l’ouverture de Doyle (Fate And Destiny) cite directement celle du film de Mel Gibson. Mais là où Horner s’intéressait plus aux instruments pour leur couleur sonore qu’au répertoire musical auquel ils sont associés, Doyle, impliqué dès le début du projet il y a trois ans, construit une bonne partie de sa musique autour de mélodies et d’harmonies directement héritées du folklore. La très belle berceuse Noble Maiden Fair, première proposition du musicien après vision des storyboards du film, possède ainsi la beauté authentique d’une chanson populaire médiévale, et émeut tout aussi évidemment. Les paroles, chantées en gaélique, ont d’ailleurs été écrites par le fils de Doyle, lui-même compositeur, l’association du père et du fils faisant joliment écho au thème central du film.

 

Brave

 

Symbolisant à travers tout le film le lien irréductible tissé par l’amour maternel d’Elianor pour sa fille, le thème de la chanson est repris sur un mode mélancolique et instrumental pour conclure le poignant Legends Are Lessons, au moment où Merida s’oppose à la volonté de sa mère. Et c’est logiquement avec une reprise chantée que s’accomplit la réconciliation et que le film se conclut (We’ve Both Changed), les personnages renouant avec la compréhension partagée des premières heures de l’enfance.

 

Si le disque est régulièrement traversé par ces moments de tendresse, pour lesquels les flûtes font souvent merveille, les danses et les fanfares son évidemment de la fête : The Games marquant dans le score l’arrivée tonitruante des bagpipes et l’ouverture des joutes destinées à départager les prétendants. Les cornemuses des Highlands sont également présentes dans Remember To Smile et Trough The Castle. Mais la plupart du temps, ce sont les uillean pipes irlandaises qui représentent la famille des cornemuses, préférées par Doyle pour leur son plus doux, même si elles peuvent aussi propulser une belle cavalcade romantique comme à la fin de Merida Rides Away.

 

Noble, lyrique voire tragique, souvent mouvementée, la musique que Doyle écrit pour Merida célèbre toujours son incroyable force de caractère. L’héroïne du film, si elle ne bénéficie pas d’un thème à proprement parler, est décrite par les mélodies les plus graves du disque : outre la chevauchée de Merida Rides Away reprise dans Get The Key, ce sont aussi les pulsations des tambours de I Am Merida qui n’ont plus rien de festif. Le chant plaintif d’une flûte vient conclure ce morceau et emmène le score vers une dimension plus angoissante. A l’image de cette piste, il faut accepter de se faire emmener, en quelques mesures, d’une émotion à l’autre à travers tout l’album, mais c’est aussi cette richesse qui donne à Brave sa beauté virevoltante.

 

Brave

 

C’est donc aux autres personnages que reviennent les intermèdes plus légers. L’ours Mor’du, némésis de Merida et de son père, se manifestant par ailleurs par de lourds échos de percussions brutales, devient dans le tout aussi tambourinant Song Of Mor’du l’objet d’une chanson paillarde beuglée par le comédien et chanteur Billy Connoly doublant le royal paternel. Un moment grandement euphorisant, capable a lui seul d’anéantir cinquante ans de campagne contre les abus d’alcool. Doyle fait face dans les autres passages comiques à la tentation du traditionnel mickeymousing, et l’Ecossais démontre son adresse en parvenant à composer quelques passages collant au moindre sursaut des personnages sans les rendre inaudibles hors contexte. Au contraire : Not Now! et Trough The Castle sont deux petits bijoux de pure «musique de dessin animé», enlevés et tendus.

 

L’apport folklorique permet également à Doyle de répondre à la question insoluble : comment continuer à composer pour le cinéma hollywoodien sans verser dans le «synthorchestral» labellisant la grande majorité des gros budgets actuels ? La réponse est ici dans la large gamme de percussions et de tambours – faits maison pour le film par Jim Sullivan, une planche à battre le linge a même été utilisée ! – qui permettent de produire le gros son percussif attendu sans trahir ni l’intégrité orchestrale ni la veine celtique. Reconnaissons pourtant que la première partie d’un morceau comme We’ve Both Changed, liftée aux samples, pourrait provenir de Thor… Pourtant, le compositeur, sans doute transcendé par le sujet du film et la liberté dont il a bénéficiée, semble avoir voulu refermer Brave comme on ferme un coffre au trésor, en y ayant mis à l’abri ce qu’il possède de plus précieux : l’amour de la culture celtique, le goût pour une musique – et un cinéma – célébrant les émotions les plus élémentaires, et l’envie de continuer à trouver à la forme symphonique une place dans le paysage de la musique pour l’écran. Généreux, Patrick Doyle nous confie la clef de son trésor : on peut le dépenser sans qu’il s’épuise jamais, comme dans ces légendes anciennes dont Brave possède, sous un vernis moderne, la beauté et l’émotion intemporelle.

 

Pierre Braillon
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