Batman Begins (Hans Zimmer & James Newton Howard)

Naissance d'un monstre

Disques • Publié le 23/07/2012 par

Batman BeginsBATMAN BEGINS (2005)
BATMAN BEGINS
Compositeurs :
 Hans Zimmer & James Newwton Howard
Durée : 60:26 | 12 pistes
Éditeur : WaterTower Music

 

3 out of 5 stars

En 2005, une nouvelle race de chauve-souris faisait son apparition sur les écrans. Batman Begins revenait sur la naissance de ce héros noir comme la suie en repartant sur de nouvelles bases esthétiques, stylistiques et thématiques qui tranchaient radicalement avec le romantisme gothique de Tim Burton et la vision disons… colorée de Joel Schumacher. Warner voulait faire de ce Batman un projet conséquent, impressionnant… et rentable. D’où une distribution alléchante, l’appel à un réalisateur dont la carrière était en plein essor (et qui, heureusement, possédait sa propre vision du mythe), et l’association de deux grands noms de la musique de film. Une décision qui n’avait pas manqué d’étonner tant on pouvait se demandait si ce choix trouverait une justification – et un sens – à l’écoute et à la vision du film : Hans Zimmer et James Newton Howard, deux «amis de dix ans» qui n’avaient musicalement rien en commun, se serrant les coudes pour donner à Batman un écrin digne de sa névrose.

 

Dès la première écoute, on se demande pourquoi ce duo de compositeurs a été créé alors que Zimmer s’est visiblement accaparé quasiment tout le temps de parole. La partie identifiable que l’on peut attribuer à Howard est non seulement minime, mais on a même l’impression que sa participation s’est limitée aux scènes intimistes du film, comme si le gladiateur allemand pouvait, seul, travailler sur les aspects spectaculaires. Mais pourquoi Zimmer et Howard ? Etaient-ils a priori plus recommandables qu’un autre compositeur moins populaire comme, par exemple (mais pas au hasard), David Julyan ? Le compositeur de Memento avait pourtant fait preuve d’une rare créativité sur les deux précédents films de Christopher Nolan et sa sensibilité aurait sûrement offert au nouveau Batman un supplément d’âme. Le travail de Zimmer se révèle intéressant à plus d’un titre, mais il n’y a rien dans sa musique que David Julyan n’aurait su faire. Non seulement le style Zimmer est loin d’être inimitable (et pour cause, de nombreux ghostwriters, certes formés, savent le reproduire à l’identique), mais Julyan a brillamment démontré dans Insomnia que la musique partiellement synthétique pouvait toujours exercer un réel pouvoir émotionnel.

 

Batman et sa lampe de poche

 

Il y a bel et bien une chose remarquable dans la partition de Batman Begins : deux notes, qui contrebalancent tout le reste. D’abord sur le logo Warner, puis sur l’image titre, Vespertilio expose un sound design flippant, une direction vers laquelle la partition ne s’engagera finalement pas beaucoup malgré une potentielle corrélation avec le côté le plus ténébreux du mythe Batman. Sans pour autant chercher à reproduire en onomatopée musicale le vol de milliers de chauve-souris, Vespertilio utilise des percussions qui reviennent par échos de manière cyclique. A cela s’ajoutent divers bruitages et couches synthétiques, le tout prenant de plus en plus de volume. Le mystère Batman plane déjà d’une manière inédite et vient obscurcir ostensiblement l’éclat d’un éventuel thème héroïque. Pendant une minute, cette introduction suscite un questionnement sur la nature du justicier masqué, l’homme qui incarne la chauve-souris ne paraissant plus si humain : «Ses ailes faisaient huit mètres de large. Un râle abominable est sorti de sa gorge…», dit-on de lui dans le comics Batman Year One. C’est le mystère de la bestialité qui se fait entendre au loin avant que le motif de deux notes résonne alors trois fois pour accaparer l’attention. Un motif qui fonctionne comme un avertissement venant des profondeurs d’une grotte, dont les notes longues hurlent comme des sirènes de cargos.

 

Le film est avant tout le parcours de Bruce Wayne jusqu’à la victoire sur ses peurs et la concrétisation de son désir le plus profond. C’est effectivement de la naissance de l’homme chauve-souris dont il s’agit, l’émergence d’un monstre à partir des névroses d’un homme. C’est en cela que le motif de Batman prend tout son sens parce que les deux longues notes venant de nulle part matérialisent l’irruption puis la montée en puissance d’une véritable menace pour les criminels de Gotham City. Cette irruption se fera dans une des rares scènes où Batman est représenté de manière plus iconique, lorsqu’il ne fait plus qu’un avec sa phobie : à la fin de Barbastella, le motif confirme alors que de son essence vient sa force, que le monstre jusque-là terré nourrit sa vengeance de colère.

 

Batman et son Autolib'

 

James Newton Howard se penche, quand à lui, essentiellement sur les scènes sentimentales et la relation (insipide) entre Bruce Wayne et son amie d’enfance Rachel. Difficile donc dans ce cas de composer une musique un tant soit peu profonde, d’autant que ce n’est sûrement pas sur cette intrigue secondaire mais obligatoire que le réalisateur préfère se pencher. Ce pan de la partition se révèle donc plutôt léger voire transparent, tandis que Zimmer propose de faire le spectacle… Mais, bien que spectaculaire, la musique n’est pas celle de Batman. Le compositeur allemand a en effet pêché par manque d’ambition, déballant le tout-venant des productions hollywoodiennes. Quinze ans après avoir révolutionné – puis standardisé – la musique du cinéma d’action, il abuse d’un style qui a créé ses propres limites : Batman Begins est un polar, un film noir expressionniste qui modernise intelligemment un mythe âgé de 65 ans, mais on y retrouve des tics stylistiques puisés dans une filmographie boursoufflée.

 

Dans le style expressionniste, l’on remarque tout de même une approche remarquable dans Artibeus et au milieu de Tadarida, qui tend à rendre sonore la peur instillée par l’Epouvantail. L’utilisation des éléments électroniques et orchestraux, sans doute hérités de The Ring, y est tour à tour violente et insidieuse. Appartenant à la catégorie des passages les moins confortables, Artibeus se montre finalement plus intéressant et moins téléphoné que n’importe quelle musique d’action. C’est précisément en cela que ce qui devait être une musique pour Batman n’est en fait qu’une musique de Hans Zimmer. Batman Begins ne demandait pas que du spectaculaire. Christopher Nolan a bien rallumé la flamme, mais s’est fourvoyé en ce qui concerne la partition, qui provoque un déséquilibre : à film novateur et personnel, musique conventionnelle et interchangeable. La suite de cet opus devrait maintenant décoller dans un ciel crépusculaire au son d’une musique tour à tour noire et incandescente. Dans ce nouvel envol régneraient les questionnements, la terreur, la violence et le désespoir. On sentirait le souffre, la poudre, la sueur et les égouts. Ce serait percutant, chaotique et paniquant. Monsieur Zimmer, mettez donc un sourire sur nos visages…

 

Batman Begins

Sébastien Faelens