L’Incorrigible (Georges Delerue)

L'incorrigible complicité de Georges Delerue et Philippe de Broca

Disques • Publié le 21/03/2012 par

L'IncorrigibleL’INCORRIGIBLE / VA VOIR MAMAN, PAPA TRAVAILLE (1975 / 1978)
Compositeur : Georges Delerue
Durée : 63:19 | 29 pistes
Éditeur : Music Box Records

 

 

4 out of 5 stars

Cartouche, L’Homme de Rio, Chouans!… Les titres illustrant au mieux la fructueuse collaboration entre Philippe de Broca et Georges Delerue paraissent s’imposer d’eux-mêmes. Néanmoins, au-delà des beaux gaillards qu’elle a pu engendrer, la complicité entre un réalisateur et un compositeur n’est-elle pas d’autant plus criante que l’enfant né de leur union ne s’est pas présenté sous les meilleures auspices ? Douzième escapade entre les deux hommes depuis Les Jeux de l’Amour en 1960, L’Incorrigible n’est assurément pas, pour diverses raisons et bien qu’attachant par certains aspects, le projet le plus abouti de Philippe de Broca. On ne peut également qu’imaginer la problématique qu’offre à un compositeur un film qui, selon l’aveu même de son auteur, «au fond, ne raconte rien de précis» pendant les trois quarts du temps.

 

Comme il en a toujours eu l’habitude, Delerue y répond avec un pragmatisme et une sensibilité désarmants. Le film tout entier gravitant autour de l’incorrigible du titre, la partition pouvait-elle y échapper ? En premier lieu, Delerue la dote donc d’un thème central affiché d’emblée dans tout son apparat et sa théâtralité dès le lever de rideau : sur un tempo enlevé de valse (genre qu’affectionnent particulièrement à la fois le compositeur et le réalisateur), une mélodie alerte et tourbillonnante de vie, aux orchestrations pleines de panache, devient la signature d’un personnage haut en couleurs et en perpétuel mouvement, non sans évoquer au passage quelque film d’époque picaresque, de cape et d’épée. Et pourquoi pas après tout ? Car s’il n’est nul question d’épée ici, il en va autrement de la cape : L’Incorrigible n’est certes pas un film d’époque mais bel et bien un film en costumes, et il y a souvent entre les deux une mince frontière que Delerue semble franchir avec d’autant plus d’enthousiasme que le mythomane aux identités protéiformes auquel Jean-Paul Belmondo apporte son dynamisme bondissant (et son goût pour le déguisement) s’y prête parfaitement. Par ailleurs, est-il possible que le compositeur se soit directement inspiré de l’idée originellement envisagée pour le générique introductif par de Broca qui, en lieu et place du simple et austère mur de prison finalement retenu à contre cœur, souhaitait un plan fixe du visage de l’acteur ôtant une succession de masques ?

 

Jean-Pazul Belmondo et Geneviève Bujold

 

De là en tout cas, Delerue bâtit un accompagnement musical relativement épars, basé pour l’essentiel sur son thème et ses variations instrumentales : le timbre rieur et ironique d’une clarinette, les langueurs pathétiques d’un saxophone, la sonorité volontairement franchouillarde et humoristique d’un accordéon, le toucher léger et espiègle d’un piano ou la délicatesse bucolique d’une flûte viennent tour à tour colorer la mélodie et par là même enrichir la personnalité d’un personnage tragi-comique au demeurant insaisissable, tandis que quelques développements supplémentaires, tels ce tango de la séduction ou ce menuet de cour délicieusement cérémonieux et aristocratique, paraissent en être de véritables extensions. Plus tard, outre les accents hispanisants et religieux d’un motif attaché à la pièce maîtresse d’un musée (un tryptique signé El Greco) la partition prend également des atours, peut-être un tantinet convenus, de thriller (rythmiques légères, clarinette mystérieuse) lorsque le film tourne plus volontiers à la farce policière.

 

Et puis transparaît tout au long de la partition cette tendresse propre à Delerue, que Philippe de Broca admirera toute sa vie et qui s’affiche particulièrement au détour d’une charmante petite ritournelle de cirque ou, bien entendu, d’un ravissant thème d’amour, sorte de «rêverie musicale et amoureuse» pourrait-on dire même, dont il est remarquable qu’il intervienne dans le film à la fois pour illustrer le premier rôle féminin (Marie-Charlotte) qui troublera un temps sérieusement notre héros et la fille illégitime (la jeune Catherine) de celui-ci, fruit d’un amour passé qu’on devine lui aussi des plus sincères… Alors la partition de L’Incorrigible est-elle à ce point un effort mineur au sein de la filmographie commune de Georges Delerue et Philippe de Broca ? Répondons franchement : certainement pas et au contraire même, si elle n’est évidemment pas la plus luxuriante, peut-être est-elle l’une de celles qui mettent le plus en évidence les fondamentaux qui ont unis les deux hommes pendant près de trente années de collaborations.

 

Jean-Paul Belmondo

 

Comme le souligne très justement Frédéric Gimello-Mesplomb, dont on rappelle qu’il fut notamment l’auteur en 1998 de la biographie Georges Delerue : une vie et qui signe les commentaires (trop ?) succincts mais avisés du livret de la présente édition, il est peut-être bien temps d’opérer une «complète réévaluation» de la relation artistique entre de Broca et Delerue. Si, au disque, celle-ci a sans nul doute été initiée chez nous il y a quelques années déjà sous l’égide de Stéphane Lerouge au travers de plusieurs volumes de sa collection Ecoutez le cinéma ! (dont deux excellentes et indispensables compilations intitulées Le cinéma de Philippe de Broca, chez Universal/Legacy), on ne peut que se réjouir aujourd’hui de voir rééditer dans une présentation complète et soignée une partition comme celle de L’Incorrigible, exhumant au passage une maquette inédite pour piano seul du thème d’amour et incluant les mélodies lyriques entendues in situ (au cours d’un récital d’abord, puis au détour d’un disque), signées elles aussi par le compositeur. Il ne reste qu’à espérer que d’autres titres de cette collaboration suivent bientôt et bénéficient à leur tour d’une (re)mise en lumière aussi accomplie.

 

Signalons enfin qu’un conséquent complément de programme nous permet également ici de redécouvrir avec un bonheur tout aussi franc la partition de Va voir maman, papa travaille, film réalisé par François Leterrier en 1978 et auquel Delerue apporte une fois de plus une sensibilité toute personnelle quoique plus ancrée dans son époque. Tout jeune label indépendant dont on s’est déjà largement fait l’écho de l’avènement dans nos colonnes, la chose étant suffisamment rare sur le marché français actuel pour ne pas susciter un enthousiasme raisonné, Music Box Records fait bel et bien montre dès sa première sortie d’un travail éditorial exemplaire. «Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse» dit le dicton : sans doute, mais lorsque la finition est au rendez-vous sur tous les tableaux, voilà qui ne peut appeler qu’à de vifs et sincères encouragements.

 

Julien Guiomar et Jean-Paul Belmondo au Mont St Michel

Florent Groult
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