Thunder (Francesco De Masi)

Une traînée de poudre... de Masi arrive !

Disques • Publié le 29/09/2011 par

Thunder / Thunder 3THUNDER / THUNDER 3 (1983 / 1988)
TONNERRE / TONNERRE 3
Compositeur :
Francesco De Masi
Durée : 78:12 | 36 pistes
Éditeur : Beat Records

 

4 out of 5 stars

Si le cinéma italien, inconsolable des feux depuis longtemps éteints de son âge d’or, n’a pas fini de ruminer les spectres de ses plus prestigieux maîtres d’œuvre (Fellini, Visconti, Comencini et consorts), il y a gros à parier qu’il ne nourrit pas la même nostalgie mâtinée de tendresse à l’égard de la tumultueuse et fort peu noble époque du bis, durant laquelle artisans zélés et marmitons de la caméra se sont emparés des plus fracassants succès de l’industrie anglo-saxonne pour les apprêter vaille que vaille à la sauce all’italiana. Ce mercantilisme affiché, déjà prégnant dans les années 60 (l’horreur gothique, le film d’espionnage lorgnant avec envie le carton planétaire de James Bond), a pris à l’orée des seventies d’invraisemblables proportions, au point de générer durant deux bonnes décennies une kyrielle de sous-genres claudiquants.

 

C’est ainsi que l’avisé producteur et cinéaste Fabrizio de Angelis, alléché par le triomphe de First Blood (Rambo) en 1982, a immédiatement mis en chantier un quasi remake du film de Ted Kotcheff, substituant au passage au regard féroce et mélancolique de Sylvester Stallone les traits délicieusement inexpressifs du culturiste Mark Gregory. Loin d’être désagréable à voir, Thunder (Tonnerre) prend surtout l’ingénieuse initiative d’appuyer les nombreux éléments westerniens de son modèle, ce qu’a su traduire à merveille la musique d’un Francesco de Masi familier de longue date de l’Ouest italien et des déserts pelés d’Almeria, auxquels il a offert plusieurs dizaines de partitions. Grâce aux paisibles accents country de l’harmonica berçant Arizona Mountain, le compositeur écarte d’emblée les fanfares d’obédience martiale dont Jerry Goldsmith avait gratifié le personnage de Rambo et s’emploie à fouiller les origines indiennes du héros, qu’un hautbois délicat et une flûte au doux murmure viennent enrichir dans The Old Indian Man avec à-propos.

 

Pour autant, le film reste à cent lieues d’une subtile étude de caractère et de Masi, une fois achevé le prologue intimiste de son ouvrage, se hâte de durcir le jeu avec Thunder Vengeance, relecture du thème principal puissante et bondée de cordes et trompettes à l’ample solennité. Ledit thème, auquel ces inflexions nobles et graves resteront solidement chevillées, va connaître encore nombre d’avatars, comme l’émouvant Thunder Escape où les bois et l’harmonica dessinent une mélodie trempée de nostalgie, ou son double éponyme ponctué par le glorieux envol de l’orchestre. Un peu plus loin, ce leitmotiv prendra dans Where Is Thunder? l’apparence d’une marche garnie de menaçantes percussions, symbole de la lutte sans merci entre l’insaisissable Mark Gregory et les bataillons de flics suivant laborieusement ses traces. Ce jeu du chat et de la souris au beau milieu de vastes étendues arides générera d’ailleurs quelques très appréciables exercices de suspense, tel un Gasoline Fire faisant la part belle à un piano syncopé et une guitare électrique crépitante, bientôt suivi des superbes modulations de Thunder Suspense : les bois, ironiques dans un premier temps (Thunder s’amuse à faire tourner en bourrique ses poursuivants), se font subitement ombrageux lorsque la confrontation devient inéluctable.

 

Thunder, il aime pas les petites frappes de la police municipale

 

C’est ici qu’entre en scène l’autre grand pivot narratif de la partition, un trépidant thème d’action qui, tous cuivres dehors, rend avec Wanted Thunder l’hommage le plus explicite qu’ait voulu de Masi au western. La police traversant plus volontiers le désert d’Arizona à dos de cheval qu’au volant d’une camionnette, et notre Indien mutique à la souple crinière se montrant tout aussi redoutable dans le maniement de l’arc que dans celui du bazooka, le film de Fabrizio de Angelis n’avait plus besoin que d’un éclatant héroïsme symphonique, fleurant bon les ravines envahies de buissons d’amarante et les chevauchées sous un soleil de plomb, pour entériner son évidente parenté avec le mythe du vieil Ouest. Et ce ne sont pas les moulures plus contemporaines dont s’orne parfois le score (boîtes à rythme par-ci, miaulements de guitare électrique par-là) qui réussiraient à parasiter ce classicisme d’écriture, bien au contraire. Thunder Gymckana, indéniablement le plus spectaculaire morceau de bravoure de Thunder grâce aux ostinati enflammés des cordes et aux exclamations des cuivres, atteste de l’aisance avec laquelle de Masi fait fusionner dans un galop identique le moderne et l’ancien. Une entreprise passionnante qu’il réitérera avec Thunder 3 sous un abord légèrement différent, en se préoccupant cette fois comme d’une guigne d’un film qui, tendre euphémisme, n’affiche pas les mêmes ambitions que son grand frère.

 

Après avoir transmis le relais à Walter Rizzati le temps d’un second épisode à peine moins honorable que le premier, le musicien reprend la tête des opérations pour le troisième et dernier opus des aventures du chevelu Mark Gregory. Mais cinq années se sont écoulées depuis lors, et la situation du cinéma de genre italien, déjà guère florissante à l’époque où l’original fut mis en boîte, n’a fait qu’aller de mal en pis. Avachi derrière sa caméra, Fabrizio de Angelis jongle sans conviction avec un budget microscopique et bricole des séquences d’action de bac à sable, tel ce passage hautement surréaliste où les très gros plans d’une maquette en carton-pâte sont supposés figurer l’explosion d’une station-service. On ne saura jamais vraiment si le réalisateur cherchait par cette science toute personnelle des trucages à ressusciter les grandes heures de Georges Méliès. Pétri des doutes que l’on n’a aucune peine à imaginer, le compositeur a choisi, lui, de s’en tenir à la carte salvatrice du premier degré, atténuant la thématique western de la partition inaugurale mais conservant cependant ses textures intactes. En réalité, c’est dans l’omniprésence des sonorités synthétiques, sacralisées par d’indénombrables productions de divertissement au cours des années 80, que Thunder 3 se démarque de la sensibilité plus classique de son aîné. S’agit-il toutefois d’une option artistique pleinement revendiquée par de Masi ? Il est permis d’en douter, le prolifique Italien n’ayant jamais manifesté, au contraire de son illustre confrère Ennio Morricone, un goût dévorant pour d’iconoclastes horizons musicaux. Mais son expérience probante du métissage entre électronique et beauté orchestrale, déjà éprouvée, entre autres, sur l’excellent Lone Wolf McQuade (Oeil pour Oeil), fait immédiatement merveille avec The Fierce Patrol, brillant incipit qui dévoile toute la généreuse matière du thème principal. Entre cuivres valeureux, staccato de cordes mélodiques et, bien sûr, synthés judicieusement dosés, le nouveau leitmotiv de l’Indien rebelle se révèle le digne héritier de son prédécesseur et s’invite crânement sur presque toutes les pistes de l’album. Ses facettes plurielles se découvrent les unes après les autres, au hasard des diverses démonstrations de suspense, d’action ou (plus rarement) de tendresse qui jalonnent un score tout aussi dense que l’original.

 

Thunder et son lance cure-dents

 

En marge des échauffourées brutales qu’égrène Thunder 3 en abondance (Horse’s Kill, nanti d’une ouverture qui n’aurait pas dépareillé dans un James Bond signé John Barry, les superbes cordes de Thunder’s Torture, l’uppercut cuivré de Sheena’s Kidnapping… la liste est loin d’être exhaustive), quelques entractes aux inflexions plus dramatiques parviennent à éclore. Il y a là, par exemple, Indians And Fire, crescendo élégiaque avec lequel les ostinati électroniques se conjuguent d’une façon étonnamment harmonieuse. Mais le mets de choix demeure sans doute l’attrayant Sheena’s Theme, écrit pour la douce moitié en fâcheuse posture de notre héros furibond. Basé sur un instrumentarium d’une limpide simplicité, où un pupitre réduit de cordes partage la nostalgie à demi formulée d’un harmonica, ledit thème s’octroie une poignée de fugaces apparitions, interrompant même parfois une remuante décharge d’action. De Masi entendait-il ainsi donner quelques lambeaux de chair aux rachitiques enjeux humains du film ? Auquel cas, force est d’admettre qu’il a rempli son contrat avec plus de conviction que la mise en scène sclérosée de Fabrizio de Angelis et le masque éternellement figé de Mark Gregory.

 

Malmené par la rude concurrence des grosses machines hollywoodiennes et laminé par son plus mortel ennemi, la télévision, le cinéma italien n’était plus à la fin des années 80 qu’une dépouille livide, dont les ultimes gouttes de sang s’étaient diluées dans des métrages d’une médiocrité sinistre. Les uns à la suite des autres, les ténors des jours radieux de Cinecittà, réalisateurs, acteurs, producteurs, scénaristes, ont dû se résoudre à baisser tristement pavillon pour rentrer dans le rang. Parmi ces champions déchus, les compositeurs ont peut-être été les derniers à brandir haut encore le flambeau, s’escrimant à donner feu et vitalité à d’informes gâchis de pellicule, déployant tout leur pouvoir de séduction dans un combat perdu d’avance pour enrayer la désaffection prononcée du public italien envers le cinéma local. S’il ne peut se targuer d’être auréolé d’un prestige égal à celui de ses plus distingués condisciples (Morricone évidemment, Luis Bacalov, Pierro Piccioni, Nino Rota), Francesco de Masi n’en aura pas moins nourri une foi aussi inébranlable que la leur dans la puissance fédératrice de la musique de film. Pour mineurs qu’ils soient au sein d’une carrière copieusement garnie, les deux Thunder témoignent à leur façon, humble et musclée à la fois, d’un amour du travail bien fait transcendant allégrement les supports visuels les plus vermoulus et les modes cinématographiques les plus déliquescentes. Autant dire qu’au lieu de blâmer le musicien pour des choix de carrière qui ne furent pas tous heureux, loin s’en faut, on songera plutôt davantage à le congratuler.

 

Thunder, le Rambo des bacs à sable

Benjamin Josse
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