The King’s Speech (Alexandre Desplat)

La parole est d'argent, mais la musique est d'or

Disques • Publié le 27/04/2011 par

The King's SpeechTHE KING’S SPEECH (2011)
LE DISCOURS D’UN ROI
Compositeur :
Alexandre Desplat
Durée : 40:55 | 13 pistes
Éditeur : Decca Records

 

4 out of 5 stars

Que de chemin parcouru par celui qui, il y a dix-sept ans déjà, éveillait tous les espoirs avec sa partition pour Regarde les Hommes Tomber de Jacques Audiard… Et vous souvenez-vous de cette sensibilité à fleur de peau qui traversait, quelque temps plus tard, le beau Voyage de Nuit extrait du film de Sébastien Grall, Les Milles : le Train de la Liberté ? Aujourd’hui, des plateaux provençaux de La Fille du Puisatier à ceux des deux derniers Harry Potter, Alexandre Desplat arpente les genres et les horizons cinématographiques français, anglais et américains avec un enthousiasme non dissimulé, s’accommodant fort bien des spécificités et contraintes de chacun d’entre eux, sans jamais pour cela compromettre son intégrité et sa personnalité artistique.

 

The King’s Speech (Le Discours d’un Roi) vient aujourd’hui discrètement apporter sa pierre à l’édifice. Discrètement ? N’ayez crainte, le mot ici choisi n’est en rien péjoratif, bien au contraire. A l’instar d’un certain Maurice Jarre avant lui, autre français au passif international chargé, Desplat est en effet de ces compositeurs qui, au besoin, excellent à immiscer leurs interventions à l’écran sans qu’on les remarque vraiment. Voilà qui fixe d’emblée les limites de l’écoute isolée de cette partition destinée au film de Tom Hooper. Les premiers commentaires, peu de temps après la mise à disposition de la présente édition, ont en effet tôt fait de la ranger sagement sur l’étagère des œuvres supposées « mineures » de Desplat, arguant l’emploi d’un style relativement léger déjà entendu chez lui et se contentant pour partie de pasticher des compositeurs du répertoire classique. Comment dans ces conditions réaliser qu’on est en présence d’un soutien musical ciselé en fait avec le plus grand soin, de la part d’un musicien qui avoue volontiers que seule l’image peut motiver chez lui l’acte de création ?

 

Alexandre Desplat sait, et nous le savons comme lui, qu’un film qui repose autant sur la musicalité des dialogues et la justesse du jeu des acteurs ne peut prendre le risque d’être perturbé par une musique par trop prééminente. On pourrait donc croire au premier abord que ses orchestrations, mêlant pour l’essentiel cordes, bois et piano (auxquels on ajoutera quelques percussions), jouent avant tout de cette transparence qu’il a pu éprouver par le passé et affectionner en pareille occasion. Or, en attachant explicitement le roi des instruments au personnage du Prince Albert (« Bertie »), futur Georges VI, le compositeur construit en parallèle de l’image un discours bien plus engagé qu’il n’y paraît, oscillant subtilement entre redondance dramatisante et complémentarité nécessaire, ainsi que le propose l’excellente ouverture musicale qui, sans mauvais jeu de mot, s’avère des plus éloquentes. Le piano y délivre d’abord une mélodie mesurée mais enjouée, détachée, de caractère quelque peu mondain pourrait-on dire même, mais qui ne tarde bientôt pas à se faire hésitante avant de se figer, suspendue inlassablement (irrémédiablement ?) à la même note. En quelques mesures, Desplat cerne donc ce que la caméra posée de Tom Hooper et le jeu précis de Colin Firth ne peuvent alors rendre compte que partiellement, à savoir un homme souffrant certes d’un handicap particulièrement problématique devant un auditoire mais par ailleurs tout à fait capable de s’en accommoder au quotidien. Un peu plus loin, comme pour appuyer la démonstration, la même joyeuse ligne mélodique résonnera doucement dans l’intimité rassurante du cercle familial.

 

Le roi George VI (Colin Firth) et la reine Elizabeth (Helena Bonham-Carter)

 

Par la suite, si des accords tendus de cordes lancinantes viennent souligner le cas échéant des éléments dramatiques (la mort du roi Georges V, la menace d’une guerre imminente…), le piano reste bien l’objet de toutes les attentions. Tandis qu’à l’écran l’orthophoniste interprété par Geoffrey Rush s’échine à libérer la parole de Georges VI, Desplat semble quant à lui s’employer avec une même patience à délier les doigts de son interprète. Ses accompagnements lors des séances de travail, jusqu’à la répétition des discours, esquissent donc des gammes, avant de prendre l’allure de petites études. La finalité serait-elle alors de faire du musicien un soliste accompli, capable de se produire pour un grand concerto ? Voilà en tout cas ni plus ni moins ce que Desplat semble nous suggérer au sein du court thème liant des deux personnages principaux, y citant là aussi de manière tout à fait explicite par une série d’accords caractéristiques le second mouvement du cinquième concerto pour piano de Beethoven : ce morceau de répertoire à la douceur quasi spirituelle finira d’ailleurs bel et bien par intervenir comme pour signifier une sérénité d’expression enfin acquise.

 

Voilà qui nous mène directement à la sélection de morceaux du répertoire classique retenus pour le film, preuve que d’une manière ou d’une autre la musique avait définitivement son rôle à y jouer. Outre l’extrait évoqué ci-dessus qui trouve donc une place très naturelle au sein du récit, et sans s’attarder outre mesure sur ceux diffusés in situ pour stimuler les progrès du prince (l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart par exemple, encore que le choix délibéré d’un opéra faisant écho aux écrits de Beaumarchais concernant la chute des privilèges de classes pourrait fort bien être discuté au regard du lien qui se tisse entre l’aristocrate et le roturier), on s’intéressera à celui qui a été choisi pour couvrir (et mener) entièrement le fameux discours historique du 4 septembre 1939. Dans l’ensemble en effet, l’utilisation de la septième symphonie de Beethoven a suscité au mieux de l’incompréhension, au pire lui a-t-on même tout bonnement attribué l’échec émotionnel (supposé) de la séquence toute entière.

 

Dans le premier cas, certains se demandent encore curieusement pourquoi le réalisateur a préféré porté son attention sur un compositeur allemand plutôt que de piocher dans l’œuvre d’un artiste britannique, ce à quoi on répliquera par cette simple question : valait-il mieux, quitte à risquer le patriotisme officiel et outrancier, les accords d’une œuvre d’Edward Elgar (qu’on songe seulement à ses Pomp And Circumstance !) plutôt que tenter l’humanisme et l’universalité si souvent invoquée aujourd’hui de celle d’un Beethoven ? La véritable question n’est-elle pas alors plutôt de savoir pourquoi le réalisateur et son musicien ont précisément fait le choix d’une symphonie plutôt que d’un concerto ? Peut-être justement parce que ce fameux discours s’avèrera ne pas être qu’une simple prestation soliste (rejoignant cette seule finalité évoquée plus haut) mais un appel vibrant à l’unité de tout un peuple, déterminant pour la suite de l’Histoire… Toujours est-il que ce second mouvement (et son rythme de marche lente mais implacable) d’une oeuvre par ailleurs privée de toute connotation programmatique, malgré sa célébrité et sa récurrence dans le 7ème Art, s’avère un choix tout à fait judicieux.

 

Lionel Logue (Geoffrey Rush)

 

Dans le second cas, la plupart des critiques auront cette fois pointé du doigt la simple présence d’un accompagnement musical jugé sirupeux et inutile au regard de la place historique d’un discours qui se suffirait donc à lui-même, y compris dans un cadre cinématographique, plus de soixante-dix ans après. En vérité, compte tenu du travail, même épars, d’Alexandre Desplat tout au long du film, la séquence ainsi amenée pouvait-elle réellement se passer de musique ? Allons plus loin : aux oreilles des spectateurs d’aujourd’hui, loin, bien loin du contexte historique d’origine, la portée et l’intensité du discours mis en scène n’auraient-elles pas purement et simplement pâti de l’absence de musique ?

 

Ce qui apparaît évident, c’est que la mise en œuvre des différents recours musicaux dans The King’s Speech ne s’est pas faite fortuitement, sans mûres réflexions et considérations artistiques : en témoigne également le soin apporté à l’enregistrement de cette bande originale, qu’il s’agisse de l’emploi au sein d’un dispositif moderne des microphones royaux de l’époque (prêtez attention à la délicieuse patine sonore qui en découle) ou de l’adaptation des pièces classiques, spécialement enregistrées pour l’occasion pour des questions de timing et non pas simplement repiquées de l’une des (innombrables) gravures préexistantes. La complicité entre le réalisateur Tom Hooper et son compositeur, mais aussi le chef d’orchestre Terry Davies et l’ingénieur du son Peter Cobbin, est manifeste et le résultat, lui, est d’autant plus précieux…

 

The King's Speech

Florent Groult
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