The Last Airbender (James Newton Howard)

Le Chêne et le Roseau

Disques • Publié le 20/09/2010 par

The Last AirbenderTHE LAST AIRBENDER (2010)
LE DERNIER MAÎTRE DE L’AIR
Compositeur :
James Newton Howard
Durée : 66:46 | 12 pistes
Éditeur : Lakeshore Records

 

5 out of 5 stars

Après un film raté et un navet, M. Night Shyamalan aurait dû faire preuve d’humilité et se retirer de la profession, n’ayant clairement plus rien à dire. Cependant, il persiste et signe en s’attaquant cette fois au genre périlleux de la fantasy enfantine, adaptant au cinéma le dessin animé américain The Last Airbender (Le Dernier Maître de l’Air). Résultat : autant le réalisateur se plante dans les grandes largeurs avec un ridicule consternant, autant son compositeur s’ébat une fois de plus comme un poisson dans l’eau, signant très certainement sa meilleure partition depuis longtemps, après plusieurs années illuminées seulement par le crépusculaire I Am Legend (Je Suis Une Légende). En effet, on peut s’inquiéter à juste titre de la tournure que prend la carrière du musicien, qui aligne depuis quelques années les travaux parfois sympathiques mais globalement très fonctionnels voire impersonnels : Defiance (Les Insurgés) et ses pastiches de John Williams, Duplicity et Salt qui imitent le style de John Powell, Nanny McPhee & The Big Bang (Nanny McPhee et le Big Bang) et son mickeymousing éculé… Fort heureusement, James Newton Howard retrouve ici toute son originalité et sa vigueur, renouant avec le son épique qui a fait ses grandes heures dans la trilogie associée à Kevin Costner (Wyatt Earp, Waterworld, The Postman) et plus tard dans une autre trilogie, cette fois pour Disney, gratifiant The Last Airbender d’une fraîcheur et d’une pureté qui semblent jaillies d’une source miraculeuse.

 

Dans le film, on ne peut pas dire que la musique transcende les images car à aucun moment elle ne permet à l’ensemble de décoller. Néanmoins, l’oreille du spectateur désabusé sera souvent sollicitée par des harmonies majestueuses et enivrantes qui prouvent bien à quel point le compositeur s’est efforcé de mettre en valeur toute la grandeur et la beauté contenues en germes dans l’histoire. Mais c’est là que réside en même temps la principale déception : ce qu’on entend dans le film et sur le disque n’est pas exactement la même chose… Pour des raisons budgétaires incompréhensibles, sachant que depuis des années ce problème semblait résolu et qu’Howard compte désormais parmi les compositeurs les plus financièrement viables, les chœurs splendides qui confèrent à la partition une large part de sa dimension merveilleuse sont absents de l’album édité par Lakeshore Records et remplacés par des samples qui ne valent pas grand-chose. Nombreux sont ceux qui se sont alors légitimement demandé s’il n’était pas possible d’enregistrer ces chœurs dans des conditions qui éviteraient un surcoût invalidant… On ne saura sans doute jamais le fin mot de l’affaire, mais le problème s’est posé également pour la récente édition du score de Salt et tendrait donc à se généraliser…

 

The Last Airbender

 

Une fois passé le deuil de cette composante pourtant essentielle du score de The Last Airbender, concentrons-nous sur ce qu’il en reste en dehors du film, que l’on ne conseillera à personne de regarder plus d’une fois. Howard a conçu un album dans lequel les morceaux ne respectent pas l’ordre chronologique de l’histoire, privilégiant plutôt la cohérence de la musique elle-même et sa structure cyclique, comme s’il s’agissait d’une œuvre de concert, avec des pistes assez longues permettant largement de développer les idées proposées. D’une durée de onze minutes, la suite qui ouvre l’album est déjà un monde en soi et contient l’ensemble des thèmes de la partition, donnant la pleine mesure du travail accompli par le musicien. Après un début mystérieux et planant au synthétiseur rappelant l’univers marin de Waterworld mais aussi bon nombre de passages atmosphériques de Snow Falling On Cedars (La Neige Tombait sur les Cèdres), les cordes arrivent au premier plan comme une grande vague faite de volutes et d’arabesques étourdissantes, bientôt rejointes par des bois solennels. Majestueuse puis résolument triomphale, très cuivrée et émouvante jusqu’aux larmes, cette ouverture est frappée du sceau inimitable du compositeur (on pense aussi au final d’Atlantis : The Lost Empire [Atlantide, l’Empire Perdu], très lyrique), pleine de mélodies splendides et d’une grande densité sans pour autant devenir étouffante. Tout est fait pour conférer au héros, le fameux Avatar, une dimension radieuse et gigantesque correspondant parfaitement à son statut de principe fondamental équilibrant les diverses forces de l’univers.

 

Dans sa partie centrale, Airbender Suite connaît des moments plus sombres et mystérieux dans lesquels le compositeur met en avant les sonorités exotiques correspondant aux lieux de l’action (bols tibétains, gongs, flûtes asiatiques) avant de s’orienter vers une symphonie guerrière des plus convaincantes directement issue des musiques d’action des années 90 telles The Fugitive (Le Fugitif) et Outbreak (Alerte). Marquée par des cuivres orageux et par une avalanche de percussions déchaînées (notamment des tambours asiatiques qui rappellent encore fortement Snow Falling On Cedars), cette marche furieuse intègre largement les chœurs samplés et l’on ne peut alors que regretter la puissance qu’ils apporteraient à ce passage s’il s’agissait de chœurs réels… Après un crescendo particulièrement véhément, le tout retombe dans l’accalmie du début.

 

Le reste de l’album proposera de nombreuses variations sur les différents motifs apparus dans ce morceau inaugural et sera caractérisé par une alternance régulière de séquences d’action et de pistes plus paisibles et élégiaques. Un point commun les unira toutes : l’omniprésence de l’élément aquatique, qui offre au film ses plus belles images et qui imprègne le score en profondeur via des orchestrations magiques pleines de noblesse, de grâce et de fluidité. Dans le Prologue par exemple, la légende du dernier maître de l’air nous est présentée au son d’une musique primale qu’on croirait d’abord sortie des tréfonds de la terre et qui se mue rapidement en motifs tourbillonnants et hypnotiques entrelacés de chœurs liturgiques tout droit sortis de Lady In The Water (La Jeune Fille de l’Eau), dans laquelle eau, mythe et magie faisaient également bon ménage (cette filiation apparaît également de façon très nette dans The Four Elements Test).

 

The Last Airbender

 

C’est aussi dans le Prologue que nous est présenté le thème principal associé à l’Avatar : tantôt lent et solennel, tantôt grandiose et poignant, il apporte au score une unité et une puissance indéniables. Présent dans toute son ampleur au cœur de Journey To The Northern Water Tribe et Hall Of Avatars, il irradie dans Earthbenders et The Avatar Has Returned lors de reprises incroyablement galvanisantes, scandées par des percussions claquantes et des chœurs farouches. Earthbenders est d’ailleurs l’un des morceaux d’action les plus percutants de l’album, étourdissante démonstration de force renvoyant aux meilleurs travaux du compositeur dans le genre épique. Quant à la très longue séquence d’affrontement final, de The Blue Spirit à We Are Now The Gods, elle baigne dans une atmosphère d’apocalypse totalement grisante, noyée sous un déluge de cordes et de cuivres surpuissants, oscillant entre références classiques vénérables (L’Or du Rhin de Wagner, déjà présent en filigrane dans I Am Legend) et références personnelles certes moins définitives mais traversées de moments très forts (Vertical Limit et King Kong). On n’en finirait pas de détailler les merveilles contenues dans ce flot impétueux, depuis les multiples élans guerriers jusqu’aux adagios d’un lyrisme déchirant, tous résumés dans le superbe et bien nommé Flow Like Water

 

Doué d’un talent inné pour les mélodies, le rythme et les orchestrations, faisant usage avec la même habileté et la même expressivité du pupitre des cordes, des bois ou des percussions, James Newton Howard nous donne ici une nouvelle preuve de son talent protéiforme et va plus loin encore que dans tous ses scores composés précédemment pour M. Night Shyamalan, qui comptent déjà parmi ses principaux titres de gloire. En effet, alors que ceux-ci se devaient de conserver une certaine retenue et tirer leur force de leur sobriété, alors qu’ils évoluaient dans des univers plutôt sombres, The Last Airbender, lumineux jusqu’à l’incandescence, fait sauter toutes les barrières et, tout en contenant le même haut degré d’inspiration que ses prédécesseurs, porte celui-ci à son paroxysme. Plus encore que Unbreakable (Incassable) ou Signs (Signes), déjà excellents, cette musique paraît habitée, transcendée par une dimension spirituelle que peu d’artistes sont capables d’insuffler à leur musique. Howard s’est déjà exprimé plusieurs fois à ce sujet en interview, considérant les compositeurs comme des sortes de passeurs, sinon d’alchimistes, ayant la capacité de transmuer en musique l’énergie divine présente dans le monde. Les mots « religieux » et « sacré » reviennent fréquemment dans ses propos. Étant donné qu’il a par ailleurs toujours su rester humble et considéré son talent comme une bénédiction dont il devait se montrer reconnaissant, on se gardera bien de voir dans son discours le reflet d’une quelconque mégalomanie. En revanche, et sans vouloir tomber dans un mysticisme de mauvais aloi, on peut cependant constater que la pensée du musicien s’accorde à bon nombre de ses œuvres, et tout particulièrement à The Last Airbender.

 

The Last Airbender

Gregory Bouak
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