Jerry Cotton (Helmut Zerlett & Christoph Zirngibl)

Du Rififi à Berlin

Disques • Publié le 13/04/2010 par

Jerry CottonJERRY COTTON (2010)
JERRY COTTON
Compositeurs :
Helmut Zerlett & Christoph Zirngibl
Durée : 45:36 | 32 pistes
Éditeur : Ministry Of Sound

 

3.5 out of 5 stars

Compte tenu des aléas de la profession, dire d’un jeune compositeur qu’il est promis à un avenir radieux est toujours une affirmation hasardeuse. Faut-il pour autant s’interdire de miser de temps à autre quelques pièces sur un début de carrière ? Bien sûr que non et en l’occurrence ici, s’ils avaient toujours cours, nous n’hésiterions pas à poser avec enthousiasme quelques deutschemarks sur le tapis en faveur de Christoph Zirngibl, un geste d’encouragement qu’un jury a déjà assumé avant nous. Le public de l’édition 2007 du Festival International de Musique de Film d’Ubeda se souvient ainsi certainement que ce bavarois, alors âgé de 27 ans, a reçu deux Jerry Goldsmith Awards, dont celui de meilleur jeune compositeur, pour le court métrage Lethe. On ne peut donc que se réjouir de le retrouver associé aujourd’hui à l’une des franchises les plus fameuses outre-rhin.

 

Plus proche dans l’esprit d’un OSS 117 ou d’un Matt Helm que de James Bond, Jerry Cotton est en effet un personnage de littérature populaire particulièrement apprécié en Allemagne : les récits d’action mettant en scène à New York cet enquêteur du FBI se comptent par milliers depuis sa création en 1954, et pas moins d’une centaine d’auteurs a été jusqu’ici chargée d’en imaginer les péripéties. Comme on peut s’y attendre, celles-ci ont par le passé déjà fait l’objet d’adaptations cinématographiques, huit au total, toutes menées par le réalisateur Harald Reinl, très précisément entre 1965 et 1969. A l’époque, c’est au compositeur Peter Thomas, bien connu pour sa participation à la série culte et kitsch Raumpatrouille (Commando Spatial), qu’était revenu l’honneur de concevoir la signature mélodique du personnage, une Jerry Cotton Marsch en forme de gentille ritournelle flûtée et sifflée, aux caisses claires martiales, plus proche de la fameuse marche de nos Gendarmes tropéziens que du célébrissime thème de 007…

 

Plus d’une quarantaine d’années plus tard, Jerry Cotton est de retour sur les écrans germanophones. Pour l’occasion, Christoph Zirngibl, qui en assure donc la relève musicale, partage cette tâche avec le musicien et arrangeur Helmut Zerlett, lequel pour sa part s’est précédemment illustré à l’écran en tant que directeur musical de plusieurs shows télévisés et également comme compositeur, notamment pour l’une des séries phares de la chaîne RTL Television, Der Clown (Le Clown). Ce n’est du reste pas la première fois que les deux hommes collaborent ensemble puisque le premier occupa d’abord le poste d’orchestrateur pour le second sur Maria An Callas en 2005 avant de tenir conjointement l’affiche à deux reprises en 2007, pour les comédies Kein Bund Für’s Leben et Neues vom WiXXer.

 

Jerry & Cotton

 

Suspense, action, espionnage. C’est d’abord sans grande surprise qu’on constate que l’orientation musicale choisie pour Jerry Cotton lorgne résolument vers celle que John Powell développa pour la saga Jason Bourne, soit un style électro-orchestral nerveux qui dès les premières mesures instaure par réflexe une impression de déjà entendu pouvant laisser présager d’un arrière-goût bien amer pour l’ensemble du travail. Il faut dire dans cette même veine, le cinéma allemand nous a infligé il n’y a pas si longtemps un exercice particulièrement empesé et fatiguant avec Der Baader Meinhof Komplex (La Bande à Baader). Fort heureusement, les craintes s’estompent rapidement. Certes, le cocktail concocté est à la mode, mais à l’évidence Zirngibl et Zerlett connaissent leur affaire et n’ont jamais eu l’intention de céder pour autant à la facilité : à l’écoute, le mariage entre accents orchestraux et modernes paraît avoir fait l’objet de toutes les attentions et de constants compromis (les uns ne prenant jamais l’ascendant sur les autres) pour s’avérer au final en tout point dynamique, distillant même, eut égard à quelques-unes des sonorités employées, une certaine fraîcheur qui n’est pas pour déplaire. Loin d’être entièrement galvaudée, l’irruption d’un accord de guitare électrique, d’un effet de saturation métallique ou d’un battement électronique au-dessus d’un tissu orchestral idéalement réfléchi peut toujours, même aujourd’hui, constituer un ressort d’une redoutable efficacité : c’est d’autant plus le cas ici qu’il est remarquable de constater que la clarté de l’ensemble n’est à aucun moment sacrifiée sur l’autel d’un volume sonore si souvent considéré comme une finalité pour ce genre de films.

 

Par ailleurs, si les nombreuses plages de suspense et d’action qui forment l’essentiel de la partition font bel et bien la part belle aux éléments rythmiques (staccato de cordes, salves répétées de cuivres, nombreuses percussions), elles n’en sont pas moins parcourues de cellules mélodiques exaltantes qui fusent par instant, rejoignant cette fois de manière plus marquée les gimmicks employés par David Arnold pour ses James Bond. Aux côtés de quelques éléments de comédie, le thème original composé par Peter Thomas, remis au goût du jour, fait également furtivement son apparition, tel un petit clin d’œil révérant au passé.

 

Qu’on ne se méprenne pas : si les deux compositeurs ne déméritent pas, il manque sans doute à cette partition une structure d’ensemble qui la rendrait immersive (ou en tout cas moins superficielle), tout comme ce petit supplément d’âme et de personnalité qui en ferait une véritable et franche réussite. Mais à la lumière de ce qui se fait actuellement en terme de musique d’action, certains producteurs européens, et notamment français, seraient bien inspirés de jeter une oreille sur ce Jerry Cotton tout à fait divertissant et rondement mené. Christoph Zirngibl mérite quant à lui indéniablement qu’on lui accorde sa chance à l’avenir pour affirmer, seul cette fois, son identité musicale : le talent y est, reste l’opportunité…

 

Jerry, Cotton & Tampax

Florent Groult
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