The Ghost Writer (Alexandre Desplat)

Apparences

Disques • Publié le 09/04/2010 par

The Ghost WriterTHE GHOST WRITER (2010)
THE GHOST WRITER
Compositeur :
Alexandre Desplat
Durée : 42:36 | 17 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

4.5 out of 5 stars

Composer pour un film de Roman Polanski est toujours un cadeau. Alexandre Desplat a été sollicité pour travailler sur celui-ci, l’un des meilleurs d’un cinéaste qui compte déjà un nombre impressionnant de réussites. The Ghost Writer s’inscrit dans la continuité d’une carrière exceptionnelle pour le compositeur, parsemée de rencontres avec des réalisateurs de la trempe de Jacques Audiard, Florent-Emilio Siri, Stephen Frears, Wes Anderson et Anne Fontaine, en attendant le redoutable Terrence Malick.

 

Le thème qui ouvre et clôt l’album est, d’un point de vue sonore, le plus surprenant. Sur un ostinato de clarinettes et de bassons ponctué par une percussion de bois, des flûtes (les « singing flutes » mentionnées sur l’album, l’une étant d’ailleurs jouée par le compositeur) exposent le thème associé au meurtre du premier nègre littéraire, avant qu’il ne soit amplifié par les percussions, les cordes et la trompette bouchée. Un ostinati au glockenspiel constitue la partie B, plus mystérieuse, avant de se conclure sur le thème lié au son des flûtes de la partie A. Une grand partie de ces éléments, entre autres la base d’ostinati, seront portés à leur apogée dans l’une des scènes les plus fortes du film, Chase On The Ferry, tandis que In The Woods présentera le thème du meurtre de façon plus ample et plus expressive.

 

Ce matériau se déploie dès le début du film sur une séquence ingénieuse qui montre le véhicule dans lequel se trouvait le premier ghost writer débarquant vide de tout occupant grâce au ferry qui relie le continent et l’île sur laquelle habite l’ancien Premier ministre incarné par Pierce Brosnan. Cette longue séquence du débarquement est immédiatement suivie par un plan du cadavre échoué sur la plage de l’île. Le décor est posé, et cette ouverture cinématographique a son pendant musical dans ce thème dérangeant. Un personnage disparu qui hantera tout le film, que l’on ne voit pas mais dont le nom est mentionné tout du long, alors que le personnage anonyme joué par Ewan McGregor est pris dans la toile d’araignée se refermant sur lui peu à peu… Il y a quelque chose de non humain dans ces sonorités de flûtes, évoquant en effet un monstre que l’on ne peut identifier… Si ce monstre était une araignée, il ne serait pas difficile d’imaginer la toile qu’elle tisserait à l’écoute des cordes en sourdine qui parsèment la partition.

 

Ewan McGregor dans The Ghost Writer

 

Le matériau associé au personnage d’Ewan McGregor est au contraire d’un ton plus optimiste, tout du moins au début du film. On peut l’identifier par la sonorité cristalline du glockenspiel dans Rhinehart Publishing (le jeune auteur arrive avec son esprit guilleret coutumier chez son éditeur et se voit offrir la chance de sa vie) ou dans le seul moment de repos et de douceur du score, avec le marimba et le cor, dans Lang’s Memoirs. Réécrire la biographie de l’ancien Premier Ministre du royaume de Grande-Bretagne, voilà une offre lucrative qui va bientôt s’avérer être un cadeau empoisonné. Et ce poison au fur et à mesure distillé change les paramètres musicaux (tonalité, hauteur, timbre), devenant toujours plus grave, plus retenu, plus ambiguë.

 

La trame musicale fonctionne en son cœur sur ces deux logiques, les deux matériaux musicaux (exposés dans les deux premières pistes du disque) s’opposent, se confrontent, l’un venant pervertir l’autre. Le rythme obsédant et les timbres macabres associés au complot et au meurtre viennent teinter l’innocence du jeune écrivain. Dès la troisième piste, Travel To The Island, les caractéristiques de ces matériaux commencent un rapprochement distancié (ostinati, thème du meurtre d’abord dans les cordes graves, en contraste avec le piano, puis de façon plus affirmée, lorsque le véhicule dans lequel se trouve l’écrivain parvient à l’entrée de la propriété où séjourne l’ancien Premier Ministre). Lang’s Memoirs reprend ce même principe avec le thème du meurtre énoncé à la flûte basse, de façon souterraine.

 

Comme si une horloge signalait la fuite du temps qui passe, ces ostinati cristallins sont altérés dans Suspicion, comme les cordes qui deviennent séduisantes et mystérieuses… Prints, qui intervient au moment du dénouement, renoue avec ce matériau optimiste associé originellement au ghost qui se transforme alors en thème de la vérité : le thème du meurtre est toujours là, mais semble s’éloigner. La vérité explose enfin au moment où l’orchestre s’exprime tout entier dans The Truth About Ruth.

 

Suspicion expose également une des couleurs musicales importantes de la partition : des accords très marqués de cordes (surtout), qui évoquent le Ennio Morricone des thrillers et du suspense. C’est encore plus évident dans Investigation et The Predecessor, et encore plus explicite dans Bicycle Ride. Une façon accompagner le personnage dans son chemin au cœur des ténèbres et de maintenir une tension constante, une crispation qui ne le lâchera pas au moins pendant les deux premiers tiers du film.

 

Pierce Brosnan et Ewan McGregor dans The Ghost Writer

 

Il est tentant de comparer le personnage du ghost (writer) (le fantôme, pour rester fidèle à l’esprit du film, plutôt que le « nègre » de la version française), dont le nom n’est jamais mentionné dans le film, au Dean Corso de The Ninth Gate (La Neuvième Porte) du même Polanski. Deux personnages au centre d’une conspiration sordide, la vérité étant contenue dans un livre… On pourrait d’une même façon comparer le traitement musical de Desplat avec la partition de Wojciech Kilar, malgré des styles d’écriture très différents. Dean Corso a sa propre marche, il incarne, tout comme le ghost, un trait caractéristique du cinéaste, une forme de distance, de sarcasme, que la marche de Kilar transcrit parfaitement. Une marche qui n’est jamais vraiment comique mais surtout teintée d’un ton acerbe. Face à celle-ci, la musique de Kilar évoque souvent la séduction, ou le déchaînement des forces démoniaques… Dans The Ghost Writer, Alexandre Desplat n’aborde pas cette confrontation aux forces obscures de façon aussi théâtrale : s’agissant d’un monde plus proche de la réalité, voire de l’actualité immédiate, son approche est plus souterraine, plus sinueuse.

 

Soulignons également le dosage adéquat de la musique dans ce film. La partition accompagne le personnage principal dans un monde obscur pendant les deux premiers tiers, personnage qui, comme il le dit lui-même dans sa première ligne de dialogue, « ne connaît rien à la politique ». Il est notre seul lien avec l’intrigue, il est celui que le public accompagne, et la partition nous guide tout autant dans l’inconnu. Pendant une bonne partie du dernier tiers du film, la musique laisse place au silence, l’intrigue se compliquant sérieusement. Mais son retour à un moment clé (The Truth About Ruth) suscite une excitation incroyable : la scène où la partition accompagne le cheminement du papier qui passe de main en main pour arriver vers sa destination est un grand moment. Très bien utilisée, mixée et dosée dans le film, la partition d’Alexandre Desplat est également pourvue d’une excellente édition discographique. Même si la présentation n’est pas tout à fait chronologique, un bon compromis a été trouvé entre plaisir d’écoute et logique dramatique.

 

Ewan McGregor dans The Ghost Writer

David Hocquet
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