Zatoichi (Keiichi Suzuki)

Le Dernier Samouraï

Disques • Publié le 11/08/2009 par

ZatoichiZATOICHI (2003)
ZATOICHI
Compositeur :
Keiichi Suzuki
Durée : 66:36 | 15 pistes
Éditeur : Milan Music

 

4 out of 5 stars

A l’origine de l’absence de Joe Hisaishi au générique du film de Takeshi Kitano, sa partition pour Dolls : Hisaishi avait composé près d’une heure de musique orchestrale et s’est vu contraint par son alter ego insatisfait de réécrire vingt minutes de musique électro-synthétique. Le réalisateur aurait dit par la suite que son compositeur habituel ne correspondait pas à l’univers de Zatoichi et qu’il aurait coûté trop cher. Après ces quelques événements inattendus et autres bruits de couloirs, c’est Keiichi Suzuki, chanteur du groupe Moonriders et compositeur pour Tokyo Godfathers de Satoshi Kon, qui endosse finalement le rôle du rônin musical dans Zatoichi.

 

Le moins que l’on puisse dire du musicien, c’est qu’il possède un profil peu commun : cet artiste réellement multi-casquettes est ponctuellement producteur, directeur de programmation et compositeur pour des jeux vidéo, acteur et surtout créateur de multiples formations musicales d’influences diverses. L’homme ne correspond pas du tout aux canons de la composition pour l’écran et c’est donc avec curiosité que l’on aborde son travail pour un film de cette importance. Première impression : l’approche entièrement synthétique paraît froide, minimaliste et son esthétique tout droit sortie des 80’s choque (les textures de Dolls errent encore dans les mémoires). Deuxième impression, ou plutôt questions : et s’il fallait voir son support filmique pour découvrir l’esprit qui s’en dégage ? Et si derrière ces programmations et ces quelques samples à priori incongrus se cachait une véritable expression musicale et cinématographique ?

 

Takeshi Kitano dans Zatoichi

 

Le compositeur fait pourtant preuve d’une habileté indéniable, aussi étonnante qu’effective et parfaitement adaptée à l’univers de Takeshi Kitano. Les interrogations émises plus haut se révèlent alors capitales après la découverte d’une symbiose nouvelle. Le sens d’une musique est-il conditionné par sa forme ? Parce que pour ce qui est de la captation du film, simultanément à un démarquage qui en ajoute à la vision personnelle du réalisateur, Suzuki fait preuve d’un talent certain, à mi-chemin entre l’expérimentation et la mise en relief d’une violence qui régit tous les personnages. Expérimentation d’une part avec les sons de A Road To A Post-Town ou de Constructors : Suzuki inclut les samples de paysans qui bêchent un champ et de charpentiers construisant une maison afin de rythmer ses thèmes. Cette approche rappelle inévitablement ce qu’avaient développé Lars Von Trier et Björk dans les chansons de Dancer In The Dark et vise ici à ancrer des traditions spécifiques au pays et à l’époque dans une intrigue finalement universelle et intemporelle. Un lyrisme particulier d’autre part, caractérisé par une certaine gravité dans sa douceur et une évidente étrangeté dans sa forme : le piano dans The Wasteland Massacre And The Reminiscence Of Geisha et Zatoichi Showdown diffuse ses notes avec un désintéressement apparent mais aussi absolument effrayant, les thèmes à dominante synthétique comme A House On Fire And Massacres All Over avec sa boucle rythmique électronique témoignent de la violence d’un point de vue extra-terrestre en cultivant l’anachronisme. Quant à la danse exaltante et tribale de O-Kagura, elle sonne la célébration des personnages libérés des jeux mortels.

 

Ce compositeur à la forte personnalité apporte donc sa pierre à l’édifice thématique et visuel avec son propre matériau musical. C’est une démarche à la fois intellectuelle et émotionnelle qui a débouché sur le travail de Suzuki car la froideur qui la caractérise et le décalage qu’elle cultive participent finalement au propos et à l’émotion du film. Zatoichi est une œuvre de génie faite de non-dits et d’énigmes, dont la véritable révélation est là : Keiichi Suzuki a signé une musique de film ultra personnelle, remarquable par sa densité à tous les niveaux et d’une indolence qui se révèle en fin de compte dangereuse.

 

Zatoichi

Sébastien Faelens