Last Embrace (Miklós Rózsa)

Quand Rózsa fait du Rózsa

Disques • Publié le 31/07/2009 par

Last EmbraceLAST EMBRACE (1979)
MEURTRES EN CASCADE
Compositeur :
Miklós Rózsa
Durée : 58:31 | 23 pistes
Éditeur : Intrada

 

4 out of 5 stars

Un critique avait écrit il y a longtemps à propos de la bande originale de Frances : «Quand John Barry s’amuse à faire du John Barry, ç’est quand même très beau». On pourrait dire la même chose de ce disque. Last Embrace (Meurtres en Cascade) est un thriller de 1979, à l’intrigue assez complexe, où l’on retrouve la CIA, une vieille vengeance antijuive, Roy Scheider et un final tragique à la manière d’Hitchcock, en haut des chutes du Niagara. Cette musique de Miklós Rózsa fait partie, avec Eye Of The Needle (L’Arme à l’Œil) et Dead Men Don’t Wear Plaids (Les Cadavres ne portent pas de Costard), de ses dernières compositions pour le cinéma. Elle était jusqu’à présent connue grâce à un très bon réenregistrement réalisé en 1982 pour Varèse Sarabande, sous la baguette du compositeur lui-même. Il y dirigeait, comme sur le réenregistrement de Eye Of The Needle pour le même label, l’Orchestre Symphonique de Nüremberg (phalange honorable mais loin d’être virtuose). Intrada nous propose ici l’enregistrement original dans son intégralité, avec un orchestre non mentionné mais à la sonorité plus homogène et d’une plus grande justesse.

 

C’est donc du Rózsa de facture très classique, qui renvoie directement aux partitions des films noirs des années 40/50 qui ont fait en partie sa célébrité (Asphalt Jungle [Quand la Ville Dort], Brute Force [Les Démons de la Liberté], The Killers [Les Tueurs], The Naked City [La Cité Sans Voiles]…). A l’époque septuagénaire, le compositeur y utilise l’orchestre comme il l’aurait fait en plein Golden Age hollywoodien, avec la même force et la même conviction. Autant dire que ce disque ravira les amateurs. Certes, rien de ce que le musicien nous dit ici n’est vraiment nouveau, chaque séquence évoquant de nombreux modèles antérieurs. Le compositeur fait appel à des procédés et à des éléments thématiques qui sont devenus au fil des partitions extrêmement familiers. On l’a déjà écrit ailleurs, Rózsa n’a jamais cherché à renouveler en quoi que ce soit son langage, préférant continuer à faire ce qu’il savait très bien faire. On reconnaitra ainsi sans peine certaines petites figures rythmiques tout droit sorties de Providence et Fedora (et de bien d’autres partitions d’ailleurs !), pendant que les tempi plus rapides d’une pièce comme Pursuit rappellent fortement Eye Of The Needle et Time After Time (C’était Demain). La couleur orchestrale dominante, ce médium sombre de l’orchestre, est également très typique du Rózsa des années 70.

 

Roy Scheider fait un câlin  à sa façon

 

La partition est construite autour de deux groupes thématiques. Le premier comprend le Love Theme, mélodie passionnée et tourmentée présentée aux cordes, et ses développements (Main Title, Nocturne, Goodnight Ellie…), ainsi qu’un second thème introduit au violon solo dès la deuxième plage (The Cantina), dont le caractère apaisé et doucement nostalgique fait pendant à la véhémence du premier, et qui fait l’objet d’un très beau développement dans Dreamland. Le second groupe rassemble les différents motifs accompagnant l’intrigue et les séquences d’action. Bâtis sur des ostinatos rythmiques marqués à la caisse claire et aux cuivres, ils donnent lieu à de vigoureux tutti orchestraux (Confused, Murder In The Bathtub, The Drive, Pursuit, Niagara Falls…), déchirés de quelques dissonances dont Rózsa avait le secret. Niagara Falls, avec ses accents syncopés et son battement propulsif de pizzicati des cordes graves, rejoint les pièces les plus efficaces qu’il ait composées dans ce registre.

 

Comme à l’habitude, mais plus encore peut-être que dans le passé, Rozsa adopte ici une esthétique extrêmement codifiée dans le sens où chaque pièce s’inscrit dans une forme prédéterminée. L’auditeur n’a jamais à s’interroger sur le sens dramatique de tel ou tel morceau. On retrouve ainsi la romance, le nocturne, la scène de tension ou de suspense, la poursuite… N’attendez donc pas de surprise de cet enregistrement. Et pourtant, le miracle opère ! Pour peu que l’on soit sensible à son style si distinctif, on est toujours emporté par les élans passionnés du Finale et par l’énergie des pièces d’actions, même si cette partition assez sombre offre dans l’ensemble moins de variété dans ses thèmes et son orchestration que Eye Of The Needle ou Time After Time. Fidèle à lui même, Rózsa sait néanmoins éviter tout schématisme excessif. Ainsi dans The Drive, où un motif dissonant interrompt de façon abrupte le développement motorique de la pièce et parcourt tout l’orchestre, créant un saisissant effet de tension. Quant au Finale, c’est comme toujours un grand moment d’exultation, avec l’inévitable modulation qui accompagne la reprise du thème principal et les larges accords cuivrés de l’ultime cadence. A la fin du CD, on se dit qu’il en va finalement de Rózsa comme de ces compositeurs du XVIIIème siècle, tels Haydn ou Vivaldi, qui pouvaient composer cent symphonies et trois cent concertos sur le même modèle et dans un style identique, et pourtant tous différents, procurant à chaque fois un plaisir nouveau mais étrangement familier. La seule mauvaise surprise de cette édition vient du son, mono, qui enlève nécessairement à cette musique toute de fougue et de dynamisme une partie de son impact.

 

Un dernier câlin ?

Stephane Abdallah
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