Drag Me To Hell (Christopher Young)

La part des ténèbres

Disques • Publié le 18/06/2009 par

Drag Me To HellDRAG ME TO HELL (2009)
JUSQU’EN ENFER
Compositeur :
Christopher Young
Durée : 52:27 | 14 pistes
Éditeur : Lakeshore Records

 

4.5 out of 5 stars

Christopher Young est-il en passe de devenir le nouveau compositeur attitré de Sam Raimi ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite, en priant pour que cette entente, si elle devait perdurer, ne connaisse pas la même issue que celle qu’a entretenu Danny Elfman avec le réalisateur pendant de longues années et qui s’est douloureusement interrompue en pleine postproduction du second épisode de Spider-Man. Si on ne compte pas son renfort sur ce dernier film, c’est donc aujourd’hui officiellement la troisième fois que Young retrouve Sam Raimi, après The Gift (Intuitions) en 2000 (une parenthèse due à l’indisponibilité du compositeur de Tim Burton) puis Spider-Man 3 en 2007, en attendant une éventuelle confirmation de sa participation au nouvel opus du tisseur, laquelle est pour l’heure en vue à l’horizon 2011.

 

De par sa substance et son traitement, Drag Me To Hell (Jusqu’en Enfer) est typiquement le genre de projet propre à combler les aspirations hédonistes d’un Christopher Young épris de macabre depuis toujours… Ce qui interpelle en effet dès les premières notes et les premières images, c’est bien l’enthousiasme manifeste avec lequel il empoigne d’emblée l’affaire, fermement décidé à s’en donner à cœur joie et à faire sonner une formation instrumentale dont l’ampleur, en particulier dans ce genre de contexte cinématographique, est tout ce qu’il y a de plus excitante sur le papier : un large orchestre rehaussé d’un chœur et d’un orgue, auquel se joignent les sonorités de synthétiseurs ainsi que celles, très typées, d’instruments anciens tels que la vielle à roue ou la viole de gambe… On imagine sans peine le compositeur, l’œil pétillant et un sourire au coin des lèvres, au moment de concevoir sa partition.

 

Drag Me To Hell

 

De fait, de Hellraiser à Ghost Rider, Young a eu – et c’est peu de le dire – maintes occasions jusqu’ici de prouver qu’il savait déchaîner les enfers à des degrés divers : rien d’étonnant donc à le retrouver une fois encore dans ce rôle. Simple routine au vu d’une filmographie déjà bien fournie ? Bien au contraire, Drag Me To Hell pourrait bien aujourd’hui s’imposer comme sa partition la plus accomplie en la matière, tout en se révélant dans le même temps être la plus respectueuse des codes musicaux inhérents à l’exercice. Car mettre le Diable en musique – et le professeur es démonologie qu’est Young le sait certainement mieux que quiconque à Hollywood – ne date pas d’hier. C’est donc de manière tout à fait traditionnelle qu’il décide de recourir aux services d’un violon soliste pour figurer ce qui, à l’écran, est de près ou de loin à la solde du Diable, qu’il s’agisse de l’esprit malin qui l’incarne (le Lamia) ou de la jeteuse de sort qui l’invoque. La représentation, tout ce qu’il y a de plus classique, est issue de croyances populaires (peut-être même est-elle entrée dans l’inconscient collectif) et la production musicale en fait depuis longtemps l’usage : citons pour l’exemple la sonate dite des Trilles du Diable de Tartini, L’Histoire du Soldat de Stravinsky ou le ballet Le Violon du Diable de Pugni.

 

Elle est d’autant plus commode ici qu’elle permet dans le même élan de souligner les origines tziganes de la vieille femme, l’instrument trouvant d’ailleurs in situ (la scène de la veillée mortuaire) son équivalent folklorique. De plus, afin de parachever le symbolisme, le compositeur use du même stratagème que celui que Bernard Herrmann a naguère employé pour l’inquiétant Mr. Scratch de All That Money Can Buy (Tous les Biens de la Terre), réalisé par William Dieterle et également connu sous le titre The Devil And Daniel Webster (et dont Young a – tiens donc – signé la musique du remake en 2004). Le Diable étant assimilé à un musicien dont la virtuosité dépasse de loin les capacités couramment admises, le compositeur multiplie les lignes de son violon, les enregistre sur des pistes séparées avant de les combiner de manière à obtenir un schéma mélodique et harmonique qu’un même instrumentiste ne pourrait interpréter seul.

 

Drag Me To Hell

 

Mais là où le bagage musical de Christopher Young s’avère déterminant, c’est sans nul doute dans la conduite de sa partition. On y retrouve, en une alternance savamment dosée et en parfaite complémentarité, les deux dynamiques musicales majeures traditionnellement, là aussi, associées au Diable : d’un côté des ambiances mystérieuses et séductrices, aptes à flatter l’oreille et l’esprit et dont le fleuron est une belle mélodie ondoyante, de l’autre un très riche étalage d’effets atonaux tous plus saisissants les uns que les autres, souvent bruitistes et synchrones, confinant parfois carrément à la cacophonie et destinés à épouvanter autant la malheureuse victime désignée par le récit que les misérables (et consentants) spectateurs que nous sommes. En faisant ainsi à plusieurs reprises appel à des motifs distordus qui tiennent parfois du râle ou du grognement ou à des appuis orchestraux proprement assourdissants, le compositeur, qui n’a du reste jamais caché son intérêt envers les expérimentations acoustiques issues du répertoire du XXème siècle, en vient même parfois à suppléer presque entièrement les effets sonores (par ailleurs excellents) du film : le travail fourni de ce point de vue est tout simplement ébouriffant et, en un mot, totalement imparable. Si on ajoute à cela une sorte de gigue endiablée lors d’une séance de spiritisme qui tourne en une bouffonnerie macabre, et des embrasements dédiés à la puissance des masses orchestrale et chorale en action et qui viennent rappeler à notre bon souvenir que le compositeur qui officie fut également un jour celui de Hellbound : Hellraiser II, le moins qu’on puisse dire est que le Diable mène ici littéralement la danse.

 

Contrecoup direct, on ne fera pas grand cas des quelques motifs plus ou moins secondaires identifiés ici ou là au gré de la partition et qui, en comparaison, paraîtront bien inoffensifs, y compris ce chant féminin éthéré qui marque à deux reprises l’arrivée dans la demeure de la médium mexicaine. A plus forte raison, le doux thème aux cordes discrètes et au piano délicat qui accompagne la vie quotidienne de «l’héroïne» n’en paraîtra lui aussi que plus anodin : mais sa principale qualité n’est-elle pas justement de s’effacer devant cette véritable «thématique du Diable» particulièrement élaborée et à laquelle Young a apporté tout son savoir-faire ? Le résultat est une partition d’où émane en permanence une énergie formidable et qui, malgré une large composante purement sonore, ne sombre jamais ne serait qu’un seul instant dans le piège d’un vulgaire sound design désespérément vain. Au contraire, portée par la mise en scène percutante et jusqu’au-boutiste du réalisateur Sam Raimi, elle arbore fièrement toutes les qualités d’une expérience profondément viscérale. On applaudit… en diable !

 

Drag Me To Hell

Florent Groult
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