The Dirty Dozen (Frank De Vol)

Les sous-doués font l'armée

Décryptages Express • Publié le 21/11/2016 par

THE DIRTY DOZEN (1967)The Dirty Dozen
Réalisateur : Robert Aldrich
Compositeur : Frank DeVol
Séquence décryptée : The Builders / Train Time (0:32:45 – 0:36:23)
Éditeur : Film Score Monthly

 

C’est un de ces passages obligés auxquels le cinéma d’action sacrifie sans regimber, un précipité de virilité qui, selon les dispositions des types derrière la caméra, sanctifie l’esprit de corps et la pugnacité à repousser ses limites ou s’arrête à langoureusement caresser les biceps d’acier qu’exhibe quelque narcisse torse nu. Fresques guerrières, films d’arts martiaux, énième avatar de Rocky, tous raffolent des scènes d’entrainement spartiates où les héros, en prévision d’un homérique affrontement, déversent dans l’allégresse leur sueur scintillante. Les jours, les semaines, quand ce ne sont pas des mois entiers d’efforts surhumains, sont concassés comme à l’intérieur d’une presse à épaves par un découpage variablement savant, puis régurgités sous forme d’une unique et souvent brève séquence. Des flots de testostérone en tube concentré ! La musique, bien décidée à se retrousser les manches elle aussi, soulève de la fonte avec un entrain idoine, multipliant, selon ses moyens, flonflons martiaux et rythmes énergisants. Au verso des albums dédiés, il n’est pas bien ardu de débusquer lesdits morceaux de bravoure, que le tracklisting désigne régulièrement sous le titre sans équivoque de Training Montage.

 

Pas trace de ce tendre petit nom, à première vue (ceci dit, en cherchant bien…), dans l’édition FSM de The Dirty Dozen, qui préfère baptiser The Builders l’épreuve imposée par le dur des durs Lee Marvin à son escouade de fortes têtes. Mais à l’écran, cette appellation-ci n’est pas moins résolue que celle-là à tenir ses très prosaïques promesses : les mauvais garçons n’ont pas (encore) pour mission de détruire, mais de construire. Les mitraillettes chargées à bloc ne viendront qu’après les marteaux, les boîtes pleines de chevilles et de clous et les ciseaux à bois. A n’en pas douter, l’ombre du sourire sarcastique qu’on croit distinguer parfois sur le visage de Marvin flottait pareillement, lors du tournage, sur les lèvres de Robert Aldrich. Avoir réuni tant de gueules patibulaires devant son objectif pour les parachuter, tels des sales gosses coiffés d’un bonnet d’âne, sur un chantier aux airs de cour de récréation… Voilà le genre de pied de nez dont les Expendables, terne progéniture des Charles Bronson, Telly Savalas, Jim Brown et consorts, n’oseraient jamais narguer les poncifs du « film de mecs. » Quant à Brian Tyler, infatigable demolition man à la solde d’Hollywood, on ne l’imagine pas une seconde faire don à la bande à Stallone de la même goguenardise que celle, réjouissante et féroce, qu’injectait Frank DeVol aux films de son vieux compère Aldrich.

 

The Dirty Dozen

 

Entre le compositeur et le cinéaste, ce fut une solide histoire, inaugurée en 1955 avec Kiss Me Deadly et seulement rompue par la suite en de passagères occasions. Au contact du second, véritable maverick qui n’appréciait pas qu’on vienne fourrer son nez dans ce qu’il savait faire de mieux, le premier se découvrit un tempérament de maquisard, rarement là où on l’attendait et jubilant à brouiller les cartes. S’il lui arrivait de-ci de-là de céder aux stéréotypes, ça n’était que pour aussitôt les retourner, comme on révèlerait d’un geste théâtral les coutures au supplice d’un gant trop lustré. Rien qu’à voir les douze coupe-jarrets jouer tant bien que mal aux apprentis menuisiers, DeVol les gratifie ironiquement d’une reprise enjouée du classique d’Isham Jones, You’re In The Army Now. Ecrite à destination des parades militaires au pas de l’oie et des garde-à-vous torse bombé, l’antique rengaine enrobe cette fois les gamineries d’une invraisemblable galerie de psychopathes et de traîtres à la bannière étoilée.

 

Pour un peu, on se croirait téléportés en plein épisode de Hogan’s Heroes (Papa Schultz) ! La décontraction moqueuse d’Aldrich, alliée à un orchestre cartoonesque se laissant volontiers aguicher par le babil du mickey mousing, a de quoi déconcerter même les thuriféraires du couple infernal, à l’office, jadis, sur le noirissime Attack!, qui clouait la guerre au pilori avec une rage éruptive. La pochade continue d’ailleurs de plus belle lorsque les salopards, ayant achevé les baraquements qui leur tiendront lieu de résidence, se consacrent enfin à de plus orthodoxes préparatifs militaires : course d’endurance, grimper de corde... Aldrich, derechef, se gausse en filmant leurs gadins, et DeVol n’est pas long à l’imiter avec un dernier bis, en forme de chute narquoise, de You’re In The Army Now. La guerre, sermonnait Georges Clemenceau, est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires. Une diatribe que le Gros Bob et son pote Frank, dans The Dirty Dozen, reprennent en un chœur facétieux… A tout le moins, durant la première partie. Confrontés au nazis, les douze bonshommes, qui s’étaient attirés la sympathie des spectateurs à force de pitreries bravaches, se révèleront de véritables ordures, qu’aucune infamie n’échaudera dans l’exécution de leur sale besogne. On se disait bien, aussi, qu’Aldrich et DeVol ne pouvaient avoir mis autant d’eau dans leur flasque de tord-boyaux.

 

Benjamin Josse
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