28 Weeks Later (John Murphy)

L'horreur est dans le pré

Décryptages Express • Publié le 01/08/2016 par

28 WEEKS LATER (2007)28 Weeks Later
Réalisateur : Juan Carlos Fresnadillo
Compositeur : John Murphy
Séquence décryptée : Don Abandons Alice (0:08:11 – 0:11:12)
Éditeur : La-La Land Records

 

« Non, môssieur ! » s’évertue encore maintenant Umberto Lenzi à corriger les indélicats osant prétendre que ses films de zombie des eigities, bâclés pour une bouchée de pain dans l’écume du tsunami Dawn Of The Dead (Zombie), n’ont jamais rien fait que tondre la laine sur le dos de George Romero. « Mon credo, c’était les infectés, pas les morts-vivants ».  Mieux vaut laisser l’opportuniste soudard de la pellicule à sa mauvaise foi. Il serait capable, si vous renchérissiez sur le sujet, de s’attribuer la paternité visionnaire du zombie movie relooké des années 2000, où les monstres, « infectés » plutôt que trépassés, justement, se distinguent des cadavres titubants de jadis par une pointe de vitesse digne d’athlètes olympiques. Les hordes féroces de l’excellent 28 Days Later ne font aucunement exception, celles de sa suite pas davantage. Dans le cas de cette dernière, l’inverse eût été surprenant, tant le zélé Juan Carlos Fresnadillo, qui remplace Danny Boyle derrière la caméra, s’emploie à singer les effets de style agressifs dont l’original est rempli jusqu’à plus soif. Une filiation aux frontières de la consanguinité, dont l’auteur de Trainspotting en personne s’est assuré en tournant lui-même la scène d’ouverture.

 

Un carré champêtre, une maison solitaire où se sont barricadés quelques humains en détresse, et une meute folle pour les assiéger : le dispositif, qui fait tout le pittoresque du film de zombies depuis Night Of The Living Dead (La Nuit des Morts-Vivants), est d’une simplicité ascétique. Musicalement, la guitare électrique et les voix jointes en une litanie inarticulée ont des vues sur un autre mégalithe du genre : Dawn Of The Dead, encore lui. Bien sûr, les seventies ont vécu. Et si l’instrumentarium répond présent, sa mise à contribution s’est modifiée du tout au tout. Goblin avait flanqué d’un concerto furieusement rock les Hell’s Angels hilares de Romero, lâchés toutes pétoires et battes de baseball dehors dans un temple de la consommation. John Murphy, par nature moins porté sur l’hubris fracassant, confectionne une lente montée en puissance, un de ces crescendos modernistes qui voudraient fusionner dans un même magma émotion et action… avec pour résultat létal, la plupart du temps, de vider la première de toute substance et d’affliger la seconde de croquenots pesant des tonnes.

 

Don Abandons Alice

 

Dans 28 Weeks Later, réjouissons-nous, le tableau a été plus soigneusement brossé. L’illusion d’un cluster obèse qui ne s’arrêterait jamais persiste malgré tout, mais le minimalisme brut de décoffrage de l’écriture entre idéalement en symbiose avec ce sentiment d’urgence, qui secoue la caméra et projette tous les protagonistes dans une course éperdue. Il faut d’abord à la gratte de guitare un peu de temps pour s’échauffer, au cours duquel Don (le caméléon Robert Carlyle), écoutant son instinct de survie bien davantage que les appels à l’aide de sa femme, choisit de prendre ses jambes à son cou. Murphy, à cet instant, aurait pu céder à la tentation de le juger, l’accablant en guise d’opprobre des trémolos de violons spasmodiques. Mais les riffs qui commencent à s’accélérer, presque imperceptiblement, font entendre un son bien différent, celui de l’irrévocabilité et de la culpabilité qui, déjà, fustige la conscience. Glacé d’horreur, Don détale autant pour échapper à ses poursuivants enragés que pour ne plus voir la silhouette à l’étage, derrière lui, qui tape désespérément des mains contre la fenêtre en criant son nom.

 

Les dés ainsi jetés, il n’y a plus la moindre place pour quelque pensée cohérente que ce soit dans l’esprit du fuyard. Le désordre rugissant qui s’est emparé de son cerveau, le sang qui cogne à l’assourdir à ses tempes, se liguent pour engendrer une cacophonie intérieure dont la guitare, maintenant déchainée, réverbère chaque soubresaut. On pourrait faire montre d’un zeste de mansuétude en allouant des intentions identiques au découpage, qui régurgite des plans hachés à la manière d’un shaker à deux doigts de l’explosion. Mais l’immédiateté viscérale convoitée par ce prologue choc existe bien, pulsionnelle, rugueuse au toucher. Les bricoleurs de vidéos qui écument la Toile, en quête d’arrière-plan sonore décoiffant, ne s’y trompèrent pas, récupérant au bas mot un milliard de fois ce Don Abandons Alice devenu superstar. Dans l’univers consumériste du Net, où les étoiles ont coutume de vite se révéler feu follet, ça n’est pas un gage de qualité en soi. John Murphy serait néanmoins bêta, lui dont la carrière s’est mystérieusement embourbée depuis, d’envoyer au diable ce genre de postérité.

 

Benjamin Josse
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