Sholay (Rahul Dev Burman)

Les copains d'abord

Décryptages Express • Publié le 02/05/2016 par

SHOLAY (1975)Sholay
Réalisateur : Ramesh Sippy
Compositeur : Rahul Dev Burman
Séquence décryptée : Yeh Dosti Hum Nahin (0:16:40 – 0:22:53)
Éditeur : Universal Music India

 

Attention, œuvre monstre ! Nous avons là affaire au film qu’une certaine frange de la cinéphilie considère comme (roulez tambours, sonnez clairons) le plus important de toute la gargantuesque histoire du cinéma indien. Rien de moins ! Tagline à l’emporte-pièce ? Manchette bassement sensationnaliste ? C’est à voir. Reconnaissons malgré tout à Sholay qu’il n’est point dépourvu, en ce sens, d’arguments massue : son succès, à peine imaginable pour un spectateur occidental, ne peut être mesuré dans l’industrie hindi qu’à deux ou trois véritables rivaux ; le comédien Amitabh Bachchan, starisé à ses débuts via son personnage récurrent d’angry young man, est devenu grâce à lui le demi-dieu qu’il n’a, depuis lors, jamais vraiment cessé d’être ; et, plus que n’importe quel autre film des seventies, il a pérennisé avec superbe la formule du cinéma dit Masala, mélange détonant et foutraque, à défaut d’être toujours savant, d’influences antithétiques et de genres qui n’étaient, a priori, aucunement destinés à frayer dans la même cour.

 

A cet égard, Sholay met d’entrée de jeu les bouchées doubles. Ça démarre comme un western de la plus belle eau avec une spectaculaire attaque de train, avant d’enchainer sans crier gare sur un morceau burlesque où un directeur de prison, moustachu hystérique, déclare la guerre au Charlot du Great Dictator. Prise entre ces deux extrêmes, la première des nombreuses chansons parsemant le récit est une ode pleine d’énergie naïve à l’amitié éternelle. Après avoir volé un side-car, Bachchan et la superstar de l’époque Dharmendra s’en vont sillonner la campagne, leurs bouches débordant de joyeux lyrics tout droit issus du répertoire, gros de quelques milliers de titres, du parolier de légende Anand Bakshi. A la musique, Rahul Dev Burman, qui était au Bollywood du siècle dernier ce que A.R. Rahman incarne aujourd’hui, drape son énergique orchestre de tous les chatoiements qu’était en droit d’attendre le public local. Sauf qu’il ne lui a pas échappé que Sholay ambitionnait un métissage inédit, ou pas loin de l’être, sur les écrans du Sous-Continent.

 

Sholay

 

Et voici donc le compositeur parti dans une réappropriation hardie du folklore du vieil Ouest, faisant autant son marché dans son riche versant hollywoodien que chez le parent transalpin illégitime. Entraînant, gouaché à souhait, le générique faisait déjà merveille sous ce double patronage. Pour notre balade bucolique, tous ces ingrédients épars sont à nouveau mixés avec bonheur, mais adoptent une orientation plus volontiers primesautière. Harmonica et banjo, au diapason des sourires fendant jusque-là les sympathiques bobines du tandem de pieds nickelés, sont les rais de soleil jetés sur des cordes souples et légères, davantage typées Bollywood, que flanque un petit ensemble de percussions elles aussi très couleur locale.

 

Quelques onomatopées synthétiques, caricatures allègres mais point outrancières, s’invitent ici et là pour seconder des accélérés d’image purement comiques, au menu desquels figure une scène de drague se jouant à pile ou face. Autant de gamineries viriles qui n’ont pas empêché certains critiques de faire leur quatre heures de l’ambigüité des rapports, pleins d’effusions il est vrai, entre les deux héros. Comme dans un bon vieux wu xia pian de Chang Cheh, l’amitié indestructible ne servirait-elle pas de paravent fort commode à une homosexualité inavouée ? Non content d’être novateur, Sholay deviendrait alors, au sein d’un cinéma longtemps resté prisonnier d’un carcan pudibond, carrément avant-gardiste ! Pures foutaises que tout cela, aurait à coup sûr rétorqué Rahul Dev Burman aux plumitifs en mal de révélations croustillantes. On ne trouvera pas l’ombre d’une allusion souterraine dans sa musique, et encore moins dans Yeh Dosti Hum Nahin, hymne solaire à une camaraderie à la vie, à la mort, qui enchante et, pour tout confesser, émeut même par sa fondamentale candeur.

 

Benjamin Josse
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