Hitokiri (Masaru Satô)

Running Man

Décryptages Express • Publié le 21/03/2016 par

HITOKIRI (1969)Hitokiri
Réalisateur : Hideo Gosha
Compositeur : Masaru Satô
Séquence décryptée : Hitokiri (0:57:08 – 0:59:52)
Éditeur : Soundtrack Listeners Communications

 

Hideo Gosha, vu par le petit bout de la lorgnette, c’est l’histoire très ordinaire d’un réalisateur qui aura épousé toutes les courbes du classique parcours en deux temps : les « œuvres de jeunesse » pour commencer, incapables de tenir en place, et leur emboîtant le pas, les « films de la maturité », en apparence assagis. Quiconque a déjà tâté de son cinéma sait néanmoins qu’il est impossible de le cloisonner dans un si étroit espace, entre l’action man viril des années 60 et 70 et l’auteur de grandes fresques féminines pour les studios japonais à l’agonie. Izo Okada, l’anti-héros du sublime Hitokiri auquel Shintaro Katsu (inoubliable Zatoichi !) prête sa lourde silhouette et son jeu exubérant, représente à lui tout seul un vrai plaidoyer en faveur des talents polymorphes de Gosha. Défini, comme à peu près tous les roñins invincibles et les yakuzas que chérissait tant le cinéaste à ses débuts, par une ostensible analogie animale (ici, sans conteste, un ours), le personnage oscille en permanence entre les explosions sanguinaires du grizzli et la jovialité d’un nounours débonnaire. Plutôt malicieusement, c’est ce trait de caractère-ci que la musique de Masaru Sato a choisi d’appuyer.

 

Voilà ce que l’on appellera, au sein d’un genre aussi musclé que le chambara (ou film de sabre), un parti-pris couillu. Il n’étonne en rien de la part d’un compositeur d’une telle trempe, électron libre dans la série des Godzilla, où il s’amusait à prendre à rebours les fameuses marches bellicistes d’Akira Ifukube, et atout de poids sur certains des films majeurs de Kurosawa. Le thème qu’il donne à Izo, lumineux, plein de couleurs pastorales et même un rien fainéant, est comme une seconde peau pour ce samouraï de basse extraction, hédoniste insatiable plutôt qu’arriviste ambitieux. L’ironie pointe même le bout de son nez par le truchement du clavecin, instrument aristocratique par excellence, dont Sato contraint les sonorités rigides à un vil mariage avec les origines paysannes d’Okada. Mais derrière la truculence musicale se cache un tempérament de feu. L’homme tue pour gagner sa croûte, et son ardeur à la besogne est inaltérable. Quand il apprend, par pur hasard, qu’un carnage se prépare et que son maître l’en a sciemment tenu à l’écart, il éclate de rage et, ni une ni deux, se rue à toutes jambes pour engloutir les quelques soixante kilomètres (mazette !) le séparant des lieux du massacre.

 

Hitokiri

 

Le tournage de cette course folle, évidemment épuisant, n’est pas le plus agréable souvenir que Shintaro Katsu ait gardé d’Hitokiri. A plusieurs reprises au cours d’une journée torride où il fut forcé, à l’instar de son personnage, de cavaler sans trêve, l’acteur vitupéra Gosha et ses assistants, tranquillement installés hors du champ de la caméra tandis que lui suait sang et eau. Mais en fin de compte, il eut droit à de la compagnie, et pas n’importe laquelle : Masaru Sato himself, qui ne le lâche pas d’une semelle. Rythmiquement, il ne faiblit jamais, ses ostinati percussifs, ouvragés avec élégance, se calant sur chacune des vigoureuses foulés d’Izo. Le plus savoureux, néanmoins, tient au regard amusé qu’il porte sur cette réjouissante séquence, où notre héros, transformé en Speedy Gonzales de chair et d’os, semble parcourir la moitié de l’Archipel en soulevant dans son sillage des trombes de poussière. La trompette sous-tend à merveille le thème principal, comme pour signifier, d’un timbre solennel dont elle feint d’être dupe, que tout cela n’est décidément pas très sérieux et qu’un gag rabelaisien risque fort d’être l’unique récompense de cet excentrique marathon.

 

Il n’en sera pourtant rien. Parvenu in extremis aux portes d’une auberge devenue un abattoir, Izo bondit dans la mêlée pour réclamer son dû sanglant. Exit les accortes rondeurs musicales, place aux cris stridents des belligérants, dans la meute desquels il tranche et mutile en vociférant sans discontinuer son nom. Une simple bravade, pas davantage. Mais ces exclamations de défi deviendront, aux yeux de seigneurs malintentionnés, les premiers signes d’une insubordination qu’il faut à tout prix écraser. Pour Izo Okada, le long chemin conduisant à sa perte ne sera pas avare d’humiliations. Fidèle jusqu’au bout à sa nature fruste et orgueilleuse, il ne regardera cependant jamais en arrière, résolu quoi qu’il lui en coûte à aller droit devant, comme lors de ce radieux après-midi passé à courir ventre à terre, l’horizon vierge de tout obstacle s’étendant, immense, face à lui, et la musique gouleyante de Masaru Sato sur ses talons.

 

Benjamin Josse
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