Saint Seiya en concert

La chanson des chevaliers de Seiji Yokoyama

Évènements • Publié le 30/10/2014 par

Ce soir-là, dans la vaste enceinte du Rex, il devait bien se trouver quelque trentenaire nostalgique, le nœud à la gorge et le cœur battant la chamade à l’idée de rencontrer Bernard Minet en chair et en os pour lui faire signer la pochette, passablement défraichie, de son exemplaire du Best Of du Plus Meilleur du Club Dorothée. Au lieu de quoi, notre ami mal renseigné a dû avoir la surprise de voir monter sur scène l’androgyne bien que musculeux Nobuo Yamada qui, à la tête d’un quatuor hétéroclite formé des membres des groupes Make-Up et Broadway, s’est mis à vociférer des échantillons de J-Pop sacrément plus costauds que la tiède Chanson des Chevaliers. Sur la seule foi de l’applaudimètre, ici fracassant, les deux génériques chantés de Saint Seiya, Pegasus Fantasy et Eien Blue, représentaient les pièces les plus convoitées par un public avide et, pour tout dire, assez rock’n’roll. Bordées de sifflets joyeux, bruyantes clameurs, applaudissements à tout propos… L’allégresse générale ne s’est jamais démentie, contaminant jusqu’à un Jean Thorel pas avare de déhanchements derrière son pupitre de chef d’orchestre. Fort heureusement, les spectateurs ont su faire preuve, en règle générale, d’assez de discipline pour observer un silence dévot face à ce qui constituait le véritable cœur de Pegasus Symphony : les fameuses partitions de Seiji Yokoyama, sans lesquelles il y a gros à parier que l’adaptation animée du manga de Masami Kurumada n’aurait pas autant marqué les esprits.

 

Force est de constater, soit dit en passant, que ce silence fut loin d’être superflu. Au moins jusqu’à ce que s’achève la première partie, les cordes ont eu toutes les peines imaginables à faire entendre leur voix lorsqu’il leur fallait lutter pied à pied avec des cuivres carrément survitaminés. Si les battements cadencés des mains, qui se sont élevés de toutes parts à l’occasion de trois ou quatre morceaux parmi les plus populaires de la saga, avaient dû résonner en supplément tout au long de la soirée, on eût pu croire les pauvres violoneux frappés d’un terrible mutisme. Le Grand Rex n’étant pas réputé pour les caprices de son acoustique, à la différence de certains autres lieux de culte parisiens, il faudrait sans doute chercher dans l’orchestre Polytone lui-même les raisons d’un tel déséquilibre, cause de bien d’autres dommages collatéraux, hélas. Gageons que la très méritoire volonté de ne surtout pas ripoliner une musique marquée du fer rouge des eighties aura échappé, en grande partie, aux oreilles dissipées. L’ouverture entièrement synthétique des réjouissances, qui reprenait le moelleux ostinato de Gekitotsu-Suru Cosmo (Confrontation de Cosmos), était éloquente quant à la bigarrure d’un instrumentarium voulu aussi riche que celui de l’Andromeda Harmonic Orchestra, à l’aide duquel Seiji Yokoyama avait jadis immortalisé les aventures des Chevaliers de Bronze. Mais, à la réserve d’ouvrir toutes grandes ses esgourdes, il n’y avait aucune chance de saisir au vol les trilles totalement étouffées du vibraslap, fameux gimmick sonore devenu, au cours des années 80, le pain quotidien de la production frénétique d’animes et de tokusatsus du Japon.

 

 

Le croirez-vous ? En dépit de ces griefs chagrins, après seulement quelques morceaux en guise d’amuse-bouche, un large sourire fendait d’une oreille à l’autre le visage de votre serviteur. De plaisir autant que de soulagement. Il faut avouer que, suite au visionnage quelques semaines avant sur la toile d’une effroyable vidéo, où des vauriens endimanchés s’employaient à saccager les thèmes de Saint Seiya avec un zèle à faire blêmir l’Orchestre Philharmonique de Pouilly-sur-Yvette, les doutes les plus cruels étaient de mise. Mais il convient de rendre cette justice aux membres du Polytone : ils ont assuré comme des bêtes. Même cannibalisés par l’armada triomphante des trombones et des tubas, les cordes ont brillamment relevé le défi d’une écriture exigeante, entre élégies remplies d’émotion et glissandi vertigineux qui sont le péché mignon de Yokoyama. Les deux guitar heroes, qui surplombaient fièrement leurs confrères, ont électrisé la salle (au propre comme au figuré) de leurs riffs hargneux. Et bien que la comparaison obligée avec la précieuse Kazuko Kawashima n’ait guère tourné en sa faveur, la blonde cantatrice conviée à plusieurs reprises sur scène n’a démérité en rien, s’accommodant pour le mieux des limites de son séduisant filet de voix sans trahir la beauté des inoubliables mélopées de Saint Seiya.

 

Déjà emballante au terme de la première partie, la tenue générale du concert a gravi de nouveaux échelons au fil de la seconde. D’abord grâce à une correction notable des ratés de l’orchestration. Jean Thorel aurait-il profité des quinze minutes de l’entracte pour réunir sa petite troupe en coulisses et taper du poing sur la table ? Toujours est-il que les cuivres, cette fois-ci, n’ont plus autant donné l’impression d’être seuls au monde, bien qu’il ait encore fallu déplorer quelques victimes, et en premier lieu la flûte traversière : pivot thématique de la superbe Dead End Symphony (Mortelle Symphonie) de Poseïdon-Hen, elle semblait aphone dans le majestueux flot mélodique. Ensuite, l’aspect parfois saccadé du début de programme, principalement dû à un choix de pistes assez courtes qui nous ont été livrées sous leur forme brute, s’est volatilisé au profit d’une sélection plus fluide et harmonieuse, affichant de très satisfaisants airs de suite concertante. Enfin, dernier bon point, et pas le plus négligeable, les partitions glanées au hasard de la longue généalogie de Saint Seiya se sont merveilleusement diversifiées.

 

 

Focalisé tout d’abord sur la pléthore de musiques écrites par Yokoyama pour l’ultra-populaire chapitre du Sanctuaire, l’orchestre Polytone s’est transformé lors de ce deuxième acte en un formidable kaléidoscope aux multiples moirures, passant des neiges éternelles et mélancoliques d’Asgard à l’impressionnisme pastoral du mémorable thème d’Abel. Pour chicaner un tantinet, on déplorera, à propos de ce dernier, le léger manque de coordination entre les deux mandolines, que leurs interprètes avaient de toute façon corrigé après quelques mesures. Pas de quoi verser des larmes de sang, à l’inverse de la bordélique cacophonie du final de Karei-Naru Gold Saints (Magnifiques Chevaliers d’Or), seul véritable accroc dans le tissu musical de Pegasus Symphony et dont on ne peut pas dire qu’il ait conclu l’acte un de la plus éclatante manière qui soit.

 

Tout à fait disposés à faire fi des fâcheux désagréments évoqués plus haut, les spectateurs, venus en nombre (le Rex n’était peut-être pas bondé, mais il s’en est fallu de peu), ont offert aux valeureux musiciens le triomphe qu’ils n’avaient pas volé au bout des festivités. Le tonnerre des applaudissements n’a pas un instant décru, pas même lorsque Jean Thorel s’est éclipsé pendant de longues minutes (à telle enseigne que certains des membres de l’orchestre, qui se perdaient en regards interrogateurs vers les coulisses, paraissaient se demander s’ils n’allaient pas à leur tour remballer leurs gaules). Le retour du maître d’œuvre a été salué par des vivats assez retentissants, aurait-on dit, pour que le haut plafond se désintègre en poussière. Et le privilège de chanter les adieux est incombé au classique Pegasus Ryûseiken (Les Météores de Pégase), que les dernières salves de claps-claps ont rythmé avec une jubilation identique à celle de la batterie. En arrière-plan, sur le minuscule écran qui avait hébergé en tout début de soirée les paroles de bienvenue de Seiji Yokoyama, trop âgé désormais pour quitter les frontières de l’Archipel, un message laconique révélait que les musiques du vénérable sensei, après un crochet prévu à Hong Kong pour ce mois de novembre, joueraient les prolongations dans note beau pays… en avril 2016. Le rendez-vous, pour le moins précoce, vaudra-t-il d’être honoré, y compris par ceux ayant déjà pris d’assaut le Grand Rex la première fois ? Si les leçons de ce galop d’essai imparfait mais plein de feu sont retenues… assurément oui !

 

Benjamin Josse
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