La musique de film à l’honneur au Trianon

Prix France Musique / Sacem de la Musique de Film 2012

Évènements • Publié le 21/11/2012 par

Comme l’année dernière, c’est au Théâtre du Trianon que s’est déroulée le 12 novembre dernier la cérémonie de remise du Prix France Musique-Sacem de la musique de film. Parmi une sélection où figuraient notamment des poids lourds comme Howard Shore, Alberto Iglesias et Alexandre Desplat, c’est un compositeur quasi-inconnu en France, le polonais Pawel Mykietyn, que le jury (constitué du directeur de France Musique, de producteurs attachés à cette antenne et de compositeurs) a récompensé pour la bande originale d’Essential Killing de son compatriote Jerzy Skolimowski.

 

Né ne 1971, Mykietyn a été l’élève de compositeurs célèbres comme Witold Lutos?awski, Krzysztof Penderecki et Henryk Górecki. Egalement clarinettiste, il est très actif au théâtre et au cinéma dans son pays. Son style mêle différentes influences allant du rock à la musique expérimentale, dans une esthétique parfois proche du minimalisme. Pour ce thriller austère, quasiment sans dialogue, qui commence en Afghanistan et se poursuit dans une forêt enneigée, Mykietyn a écrit une musique anti-hollywoodienne, à la fois dépouillée et lyrique.

 

Comme à l’accoutumée, la soirée a été l’occasion d’entendre un concert de musique de film, très attendu des amateurs, assez bref (une heure environ) mais toujours de très bonne tenue. L’Orchestre Philharmonique de Radio France, fidèle au poste, est placé chaque année sous la direction d’un chef différend. Wilson Hermanto, jeune chef américano-indonésien, était à la baguette pour cette septième édition. Le programme juxtaposait comme les années précédentes des musiques rares et des pages plus célèbres. Placé sous l’angle de la «tradition française», il remettait cette année à l’honneur deux compositeurs majeurs de l’avant et de l’après-guerre, Maurice Jaubert et Joseph Kosma, dont les noms sont devenus plus connus que la musique.

 

Première œuvre au programme, Baptiste de Joseph Kosma est une suite d’orchestre d’une quinzaine de minutes qui accompagnait la pantomime du personnage interprété par Jean-Louis Barrault dans le film de Marcel Carné Les Enfants du Paradis. C’est une jolie musique au cachet très XIXème (Waldteufel n’est pas très loin) mêlant avec efficacité tournures populaires et écriture plus savante.

 

Bruno Coulais, lauréat 2011 pour Au Fond des Bois, présentait ensuite en création Les Villes Invisibles pour violon et orchestre, œuvre commandée par Radio France, avec Laurent Korcia en soliste. Il est toujours intéressant d’entendre un musicien de cinéma se frotter à la composition d’une œuvre de musique «pure», qui implique un autre sens de la durée. Présent dans la salle, Coulais a présenté en quelques mots son œuvre comme un hommage à la musique de film et une rêverie sur des villes associées au cinéma. Il y révèle un visage différent de celui du compositeur pour l’image, plus abstrait, plus exigeant à l’écoute. L’orchestre est utilisé de façon parcellaire, par touche. Il n’est jamais massif, les couleurs étant essentiellement apportées par une percussion très variée. L’écriture est assez moderne et l’atmosphère fantastique, parfois onirique ou inquiétante. Coulais exploite abondamment la diversité des modes de jeu d’archet de son instrument soliste. D’abord évocation mystérieuses pleines de bruissements et de glissandi, la pièce s’anime progressivement et se termine sur un finale animé et virtuose – ponctué d’un terrifiant appel de sirène – dans la tradition de la forme concertante.

 

On sait que François Truffaut a employé pour quatre de ses films des musiques de Maurice Jaubert, écrites initialement pour le concert, sur la suggestion de François Porcile. Deux de ces partitions nous étaient proposées. Les Intermèdes pour cordes, utilisés dans L’Homme qui Aimait les Femmes, sont une œuvre néo-classique dans le meilleur sens du terme : clarté de l’orchestration, netteté des contours mélodiques, concision roussellienne. La Suite Française, entendue sur L’Histoire d’Adèle H., est d’une veine plus familière, mêlant des échos d’airs populaires, de pastorales et de danses, mais tout cela épuré et remodelé. Dans les deux cas, il s’agit de magnifiques (re)découvertes. L’élégance, l’économie, l’absence totale de tape-à-l’œil montrent clairement la filiation qui relie Jaubert à Georges Delerue, le musicien attitré de Truffaut. On se demande bien ce qu’attendent les programmateurs de concert français (notamment) pour remettre au goût du jour ces deux chefs-d’œuvre, par ailleurs très accessibles.

 

Le concert s’est terminé en terrain plus connu avec précisément de la musique de Georges Delerue : le très beau Camille du Mépris et le Grand Choral de La Nuit Américaine, conclusion idéale pour un concert de musique de film. Deux visages, l’un déchirant, l’autre jubilatoire, du plus attachant des musiciens de cinéma.

 

Présentée par Thierry Jousse, producteur de l’émission Cinéma Song sur France Musique, la soirée (remise de prix et concert) est en écoute intégrale jusqu’au 12 décembre sur le site de la station.

 

Stephane Abdallah
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